La psychanalyse dans la question de la fertilité

En psychanalyse, la relation mère-fille est très souvent mise de côté pour privilégier la relation père-fille, alors même que la relation à la mère est essentielle dans la compréhension des mécanismes psychiques des femmes. Dans cette lancée, Monique Bydlowski, dans son ouvrage La Dette de Vie datant de 2008, met en lumière les mécanismes psychiques qui entrent en jeu lors de la conception de l’enfant jusqu’à sa relation future avec sa mère en passant par le complexe d’œdipe féminin ainsi que l’identification à la mère. 

 

J’ai remarqué que la fertilité et la stérilité ont été de tous temps des sujets de discussion et de questionnement au sein des sociétés, notamment à l’heure actuelle quand de plus en plus de femmes font le choix de ne pas avoir d’enfant. En France, le nombre de naissances a baissé de 6% entre 2022 et 2023, ce qui s’inscrit dans une baisse qui dure depuis plusieurs années déjà. De nos jours, les femmes font l’expérience d’une infertilité volontaire grâce à la prise de contraceptifs, parfois à vie suite à un non-désir d’enfant. Cependant, la peur de la stérilité est toujours bien présente. De ce fait, beaucoup de femmes se retrouvent en consultation médicale pour trouver des solutions et apaiser leurs craintes. Des réponses sur l’origine de ce phénomène ont été cherchées dans différents domaines tels que la biologie. Mais quelles sont les réponses possibles apportées par la psychologie clinique et la psychanalyse sur la stérilité ainsi que sur le non-désir d’enfant ? 

 

La vie, un cadeau ou une dette cachée ? 

 

Dans son livre, Monique Bydlowski nous explique le concept de la dette de vie. C’est premièrement un mécanisme inconscient, et deuxièmement un devoir de gratitude de la fille envers sa mère. La mère fait le « cadeau de la vie » à sa fille qui elle-même peut le faire à ses enfants. Ce qui de ce fait n’en fait plus vraiment un cadeau, ce « don » de la vie circule entre mère et fille.  Le premier enfant accomplit donc le devoir de gratitude et rembourse la dette de sa mère envers la mère de cette dernière. D’ailleurs, il arrive souvent que dans le temps qui suit l’accouchement la nouvelle mère donne son enfant à sa propre mère pour qu’elle s’en occupe. La dette remplit donc deux fonctions, faire circuler le don de la vie, mais aussi donner dans un sens un enfant à sa mère qui ne peut plus en avoir. Et c’est pour cette deuxième fonction que¹ les femmes ont besoin d’une image de leur mère faible et perdante, qui a donc besoin de leur aide. 

 

Mais pour certaines femmes, reconnaître cette dette de vie est un travail beaucoup trop dur à gérer et c’est pourquoi cela peut mener à un non-désir d’enfant, à une stérilité ou à des problèmes pendant la grossesse. Se voir mère, c’est s’identifier à sa propre mère, mais avec une image de sa mère comme toute puissante et dominante, c’est parfois impossible de s’identifier, ce qui est pourtant nécessaire pour le bien-être de l’enfant, sinon c’est sur lui qui la dette non reconnue va retomber. Reconnaître la dette c’est aussi reconnaître notre gratitude envers notre mère et là aussi les problèmes arrivent, cela peut être insupportable pour certaines. 

 

À partir de ça on peut comprendre le désir de l’avortement dans certains cas, il vaut mieux la mutilation physique que la torture psychologique de reconnaitre la gratitude pour notre mère. En soit, l’avortement peut être vécu comme une façon de tuer sa mère et de pouvoir devenir une femme à part entière. Avoir un enfant est susceptible de faire sentir à le femme qu’on pourrait aimer quelque chose en elle qui vient de leur mère et ça aussi, possiblement, est insoutenable dans certaines situations. L’image de la mère dominante maintient la femme dans l’adolescence et ne joue pas son rôle de mythe narcissisant permettant à la femme de s’accomplir. En fait, le mythe narcissisant correspond au fait qu’on a besoin d’avoir une image faible de la mère pour se dire que nous aussi on peut y arriver si elle dans son état vaincue l’a bien fait, et puisque dans le même temps avoir un enfant c’est aussi un cadeau pour sa mère, le mythe narcissisant sert vraiment à renforcer notre image de nous mêmes.  Mais parfois, la seule façon d’accepter une image de la mère vaincue et faible est à la mort de cette dernière. 

 

La stérilité serait alors dans ce cas une manifestation psychosomatique de l’entrave psychique vécue. Bien sûr, ce ne sont pas les seules raisons qui peuvent mener à la stérilité ou au non-désir d’enfant. Avoir soi-même un enfant revient aussi accepter que sa propre mère ne soit plus capable d’en avoir, il faut renoncer au fantasme de maternité éternelle. Mais il y a aussi le fait que cela fasse prendre conscience du fait que la mère se rapproche de sa mort. 

 

Le complexe d’œdipe : le mécanisme psychique fondamental 

 

Mais au fait, le complexe d’œdipe c’est quoi exactement ? . Le complexe d’œdipe est, d’après Freud, une fixation sexuelle envers le parent du sexe opposé ainsi que des sentiments de jalousie envers l’autre parent qui retient l’attention du premier. En fait, pour un garçon, la mère devient l’objet de désir et le père le rival à abattre. L’oedipe est refoulé vers la fin de l’enfance, avant l’adolescence à cause de l’interdit de l’inceste. Chez les filles, le complexe d’œdipe a été théorisé un peu plus tard mais il ressemble assez à celui que vivent les garçons ; les filles cherchent à obtenir un enfant du père et leur mère devient leur rivale de ce fait, mais elle reste tout de même leur modèle. Il y a un changement de l’image de la mère, étant enfant, les filles voient leur mère comme un être faible mais tendre et à l’adolescence les mères deviennent toutes puissantes aux yeux de leurs filles, de vraies dominatrices. 

 

L’adolescence des femmes ne se finit pas à la majorité mais au moment où l’on devient mère soi-même. À ce moment-là l’image maternelle rebascule vers l’image originelle, celle de la mère tendre et qui donne des soins. L’œdipe va se réactiver au moment de devenir mère car les désirs d’enfant et de maternité prennent tous deux racines dans cette période ce qui reflète le vœu d’obtenir un enfant du père.

 

L’œdipe joue donc un rôle important dans la maternité aussi bien au niveau des relations à la mère qu’au père, bien que les relations avec la mère soient souvent mises de côté sans raison valable. De plus, beaucoup de réponses quant au désir d’enfant et à la stérilité peuvent se cacher dans ces relations-ci. C’est pour cela que l’étude du concept de la dette de vie est importante et intéressante dans ce domaine. 

 

 

Conclusion

 

Bien que la stérilité et le désir d’enfant soient tous deux de grands sujets, aujourd’hui comme avant, la question n’est pas encore réglée. Tous les mécanismes évoqués jusqu’ici sont inconscients et ne peuvent être modifiés qu’avec un travail d’analyse conséquent. Mais bien que cela semble être une explication simple et suffisante, il faut se souvenir qu’il y a rarement une seule cause pour un phénomène et il ne faut pas mettre tous ces œufs dans le même panier. Le désir d’enfant peut être influencé par bien plus que la relation à la mère, comme les conditions climatiques par exemple, et la stérilité a tout de même des explications biologiques à ne pas négliger. 

 

Bibliographie : 

 

– Bydlowski, M. (2008). 4. La dette de vie, enjeu de la filiation féminine. Dans : , M. Bydlowski, La dette de vie: Itinéraire psychanalytique de la maternité (pp. 163-185). Paris cedex 14: Presses Universitaires de France.

– Freud, S (1900). La première topique 

– INSEE (2024),  Bilan démographique 2023 https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277635?sommaire=4318291

1. l’image que [↩]

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