L’apprentissage des habiletés physiques selon le podcast Huberman Lab

Introduction

Andrew Huberman est un chercheur en neurosciences à l’Université de Stanford aux États-Unis. Il a créé le podcast Huberman Lab afin de discuter les thématiques centrales des neurosciences, c’est-à-dire le cerveau, ses connexions avec notre corps, et leurs rapports avec nos perceptions et nos comportements ; mais aussi pour proposer des outils pour mesurer et modifier le fonctionnement de notre système nerveux.

L’acquisition des habiletés physiques

L’épisode du 17/05/2021, intitulé « How to Learn Skills Faster » ou comment acquérir des habiletés (skills) plus rapidement, discute spécifiquement la performance physique, que ce soit dans le sport ou dans un autre type d’habileté, par exemple dans l’apprentissage d’un instrument de musique. Il commence par présenter les bases neurologiques de ce genre d’apprentissage, et ensuite il développe un protocole visant à améliorer l’acquisition des habiletés physiques.

Le mythe des 10.000 heures

Une notion très répandue est la « règle des 10.000 heures », selon laquelle il existe un seuil d’environ 10.000 heures de pratique d’une habileté, notamment physique, au-delà duquel on ne peut pas vraiment la maîtriser. Or, il s’agit d’un mythe ; selon Huberman, ce qui est important n’est pas la durée mais plutôt le nombre de répétitions par unité de temps. C’est exactement ce qu’il vise à optimiser avec le protocole qu’il propose dans cet épisode de son podcast.

Un protocole pour l’acquisition optimisée des habiletés physiques

Le protocole proposé par Huberman repose sur 5 grands principes. Tout d’abord, il faut dédier du temps à la pratique, et dans ce temps, il faut faire le plus grand nombre de répétitions possible ; la durée n’est pas importante, on peut faire des séances de 10 ou 15 minutes si on ne peut pas faire des séances plus longues, l’important étant de faire un maximum de répétitions. Un deuxième principe concerne l’importance des erreurs : il est important de faire des erreurs, car c’est l’erreur qui va rediriger notre attention et permettre au cerveau d’identifier ce qu’il faut corriger et de le faire lors de la prochaine tentative. Un troisième principe préconise de passer 5 à 10 minutes sans rien faire, les yeux fermés, après chaque séance d’entraînement ou de pratique ; des études en neurosciences révèlent que cela permet au cerveau de repasser les séquences de mouvements à l’inverse, ce qui améliore l’apprentissage, même si on ne sait pas exactement pourquoi. Le quatrième principe consiste à ajouter des éléments d’incertitude dans les séances dès qu’on a atteint un certain niveau de compétence, afin de stimuler le cerveau à faire des efforts pour minimiser ces incertitudes. Finalement, un dernier principe recommande l’emploi d’un métronome ou similaire afin d’augmenter la vitesse d’exécution des mouvements.

Pourquoi maximiser le nombre de répétitions ?

Huberman mentionne une expérience consistant à mettre deux souris dans un tube, ce qui fait que chaque souris va tenter d’éjecter l’autre afin d’être seule dans le tube ; l’animal qui reste dans le tube est le « vainqueur », alors que l’animal éjecté est le « perdant ». Ensuite, chaque souris va être placée dans la même situation, avec une autre souris. Le résultat de l’étude est que les « vainqueurs » ont une probabilité plus élevée d’être vainqueurs une nouvelle fois, et que les « perdants » ont une probabilité plus élevée d’être perdants encore une fois. Or, cela n’a rien à voir avec la force, avec le taux de testostérone, etc. mais plutôt avec la stimulation du cortex préfrontal dorsomédial, où la stimulation de cette zone a l’effet d’augmenter le nombre de tentatives que l’animal a envie de faire afin d’atteindre son objectif.

Le nombre de répétitions est également lié à la rétroaction. Selon Huberman, il existe deux types d’ habiletés physiques : en boucle ouverte (open loop), lorsqu’une réponse ou rétroaction (feedback) suit l’exécution de l’action, ou en boucle fermée (closed loop), lorsque la réponse ou rétroaction est obtenue de manière continuelle pendant l’exécution de l’action. Un exemple d’action en boucle ouverte est le lancement de fléchettes ; un exemple d’action en boucle fermée est la course à pied. La différence cruciale est que dans le cas de la boucle fermée il est possible d’ajuster le comportement au fur et à mesure que nous avons une réponse ou une rétroaction.

Huberman discute une étude où deux groupes de sujets devraient jouer un jeu vidéo exigeant d’organiser une séquence d’instructions afin de guider un objet dans un labyrinthe, la différence étant que les sujets du premier groupe recevaient une réponse lorsqu’ils saisissaient une instruction incorrecte les invitant à la corriger et réessayer, alors que les sujets du deuxième groupe perdaient des points à la fin et étaient invités à faire une nouvelle tentative. Toutes les études sur les récompenses comportementales laisseraient penser que le premier groupe était le plus susceptible de perdre de la motivation, mais les résultats disent le contraire : il s’avère que les sujets à qui on indiquait leurs erreurs faisaient beaucoup plus de tentatives, alors que les autres s’arrêtaient plus tôt.

Le nombre de tentatives ou de répétitions est donc très important, et son importance est liée au principe suivant, concernant les erreurs.

Pourquoi est-il important de faire des erreurs ?

Les deux études mentionnées révèlent que c’est le nombre de tentatives qui mène au succès, ce qui semble contre-intuitif car si on fait plus de tentatives lorsqu’on est encore en train d’apprendre quelque chose, alors on est susceptible de commettre plus d’erreurs. Or, c’est exactement ce qui se passe. Et c’est pour ça que, lorsque nous apprenons une nouvelle habileté, il faut d’abord se poser la question : s’agit-il d’une habileté en boucle ouverte ou en boucle fermée ? C’est cela qui va nous permettre de décider où concentrer notre perception et notre attention. L’idée, c’est qu’il faut exploiter les erreurs afin d’optimiser le processus d’apprentissage. Et quand nous commettons des erreurs, cela va rediriger notre attention, ce qui aura pour effet d’ouvrir les portes de la neuroplasticité, puisque les erreurs indiquent ce qu’il faut modifier. Mais pour pouvoir exploiter les erreurs, il faut les identifier, et c’est pour cela qu’il faut considérer si on est en boucle ouverte ou en boucle fermée, et adapter la pratique afin d’avoir la rétroaction nécessaire pour identifier les erreurs.

Pourquoi fermer les yeux et ne rien faire après la séance d’entraînement ?

Il y a trois sources de contrôle de mouvements dans le système nerveux central. Il y a les circuits générateurs de rythme (central pattern generators) dans la moelle épinière, qui sont responsables par la génération des mouvements répétitifs, comme ceux impliqués dans la marche, dans la course à pied, dans la pratique du vélo, etc. Lorsque nous maîtrisons une habileté, ce sont surtout ces circuits qui l’exécutent. Les neurones moteurs supérieurs (upper motor neurons) se retrouvent dans le cortex cérébral et contrôlent les actions volontaires ou délibérées. Ces neurones sont les plus actifs pendant l’apprentissage de nouvelles habiletés ; contrôler les actions à l’aide de ces neurones exige de l’attention. Finalement, les neurones moteurs inférieurs (lower motor neurons) sont ceux qui se retrouvent également dans la moelle épinière et qui envoient les impulsions nerveuses aux muscles afin d’exécuter les mouvements. Ces neurones sont toujours utilisés.

Il n’est donc pas suffisant de faire des séances d’entraînement ou de pratique ; l’acquisition des habiletés physiques exige également du travail du cerveau dans le sens de consolider les apprentissages et de réorganiser les réseaux de neurones impliqués. Selon Huberman, des études en neurosciences ont montré que, immédiatement après une séance de pratique d’une habileté physique, le cerveau repasse les mouvements sans activer les muscles, mais à l’inverse, et cela provoque un apprentissage plus efficace. On n’a pas encore d’explication pour ce phénomène, mais on sait que le cerveau ne peut le faire que si on passe quelques minutes suite à l’entraînement sans rien faire, sinon le cerveau va s’occuper de la nouvelle activité ; et si possible, l’idéal est de garder les yeux fermer pour donner encore moins de stimuli extérieurs au cerveau.

Plus tard, pendant le sommeil, le cerveau va encore repasser les mouvements, mais pas à l’inverse, ce qui est moins efficace ; il est cependant toujours important de bien dormir pour la consolidation de n’importe quel type d’apprentissage.

Pourquoi introduire de l’incertitude ?

L’introduction des éléments d’incertitude doit se faire uniquement après avoir atteint un certain niveau de compétence. Cela exige que le cerveau soit toujours attentif afin de prévoir ce qui va se passer et de décider le meilleur cours d’action ; il s’agit en quelque sorte de le remettre en situation d’apprentissage.

Pourquoi utiliser un métronome ?

Un métronome ou un dispositif similaire va imposer une vitesse ou un rythme soutenu dans l’exécution des mouvements. Cela aussi stimule le cerveau à produire une réponse rapide et favorise l’automatisation des actions.

Résumé du protocole

En résumé, il faut faire le plus grand nombre de répétitions possible dans une même séance d’entraînement ou de pratique ; il est important de commettre des erreurs ; après la séance, l’idéal est de passer de 5 à 10 minutes les yeux fermés, sans rien faire, pour optimiser certains processus cérébraux liés à l’apprentissage ; une fois qu’on a acquis un certain niveau de compétence, il faut ajouter des éléments d’incertitude pour stimuler le cerveau à les anticiper, et il est aussi possible d’introduire un métronome ou similaire pour augmenter la vitesse d’exécution des actions.

Conclusion

Le podcast Huberman Lab est intéressant car il présente à la fois des résultats d’études en neurosciences et des manières de les appliquer ; ici nous avons considéré l’exemple de l’apprentissage ou acquisition d’habiletés physiques, comme en sport ou en musique. Dans ce podcast, il discute des sujets variés, chaque épisode étant concentré sur un thème ou un phénomène. Ses explications me semblent très accessibles, et les sujets sont vraiment intéressants. Les épisodes sont assez longs – l’épisode décrit dans ce billet dure presque une heure et demie – mais son style conversationnel et informel rend le podcast léger et agréable, surtout pour ceux qui s’intéressent aux neurosciences.