De l’antispécisme à l’université ?

Idéologie dans la recherche ou remise en question de la neutralité scientifique, la place de l’antispécisme dans le milieu de la recherche fait débat. Alors que la limite entre recherche engagée et militantisme est parfois difficile à percevoir, peut-on faire de la recherche tout en se revendiquant antispéciste ? Émilie Dardenne explique son point de vue sur la question dans le podcast “Comme un poisson dans l’eau”.

Si les gender studies ou les post-colonial studies sont assez connues, il y a un champ de recherche dont on entend moins parler : les animal studies. L’idée de base est simple, remettre en perspective l’anthropocentrisme.

Tout d’abord, quelques définitions seront nécessaires pour la suite : 

• antispécisme : opposition au spécisme
• anthropocentrisme : fait de considérer l’être humain au centre
• spécisme : discrimination basée sur le critère de l’espèce, cela désigne aussi l’idée d’une hiérarchie entre les espèces avec l’homme considéré comme supérieur
• intersectionnalité : fait de cumuler plusieurs discriminations, entrecroisement de ces dernières
• savoirs situés : on s’interroge sur la place de la personne qui produit la connaissance et les limites de sa vision ainsi que les relations de pouvoir dans lesquelles elle s’inscrit

Pour aborder ce sujet, on va s’appuyer sur un épisode du podcast “Comme un poisson dans l’eau” : “#15 Les universitaires peuvent-elles être antispécistes ? – Émilie Dardenne”.

“Comme un poisson dans l’eau” est un podcast qui aborde le spécisme, l’antispécisme, le véganisme ou encore la domination animale. Victor Duran-Le-Peuch invite au détour de ses émissions des personnes venues de différents milieux, des approches universitaires aux revendications militantes.  Émilie Dardenne est l’invitée de l’épisode numéro 15, elle est maître de conférence à l’université de Rennes 2, chercheuse en animal studies et responsable du D.U. “Animaux et société”. Cet épisode aborde les animal studies ainsi que la place de l’antispécisme dans les milieux universitaires.

Les animal studies, c’est quoi ?

Le tournant animal amorcé dans les années 1970 notamment via les écrits de Peter Singer a permis un renouvellement de l’éthique animal, qui s’est peu à peu propagé dans les différentes disciplines des sciences humaines et sociales. À l’image des STS (sciences, technologies et sociétés) que nous étudions dans le master, les animal studies sont un champ de recherche interdisciplinaire qui a émergé à la fin du XXème siècle. L’idée étant d’étudier les relations entre les êtres humains et les autres animaux.

Qu’est-ce que cela apporte de nouveau dans la recherche ?

“Ce qu’on apporte n’est pas quelque chose de direct qui va permettre tout de suite […], d’améliorer la condition animale […]. Ce que l’on peut apporter c’est de la hauteur de vue et de la largeur de vue.” Émilie Dardenne

Les animaux non humains sont étudiés en science depuis très longtemps mais ce qui est nouveau avec ce champ de recherche c’est la mise en perspective de l’anthropocentrisme. Cela s’inscrit dans l’idée plus large des savoirs situés, on parle depuis une place d’humain en ayant conscience de l’anthropocentrisme que cela implique. 

Le champ de recherche est large et inclut des positions plus ou moins engagées, allant de l’éthique animale à l’approche critique. Cette dernière remet en perspective l’anthropocentrisme mais s’intéresse aussi aux dominations et aux violences que cela provoque avec un intérêt pour les questions de justices sociales, d’intersectionnalité ou encore de convergence des luttes. Les principaux outils employés sont l’analyse d’arguments ou encore la définition philosophique et linguistique des termes.

Antispécisme ou neutralité scientifique ?

L’approche même du champ de recherche implique d’être plutôt favorable à la cause animale : remettre en perspective l’anthropocentrisme et tenter de prendre en compte d’autres points de vue. Mais peu de chercheur·euses se positionnent. L’antispécisme s’est pendant longtemps développé en dehors de l’université, dans les milieux militants. Le mot “antispécisme” en lui-même renvoie à une idéologie et à l’idée d’activisme. Ce qui est très éloigné de la neutralité scientifique que l’on a pour horizon en recherche.

Mais qu’en est-il de cette neutralité ? Existe-t-elle vraiment ? Comme le rappelle Émilie Dardenne, faire de la recherche demande de faire des choix, qui ne sont en aucune manière neutre. Il faut garder à l’esprit que les chercheur·euses ne peuvent pas se défaire d’un certain point de vue. Et ce quand bien même iels font preuve de la plus grande rigueur méthodologique. Prendre le point de vue des dominé·es c’est aussi prendre le risque d’être accusé·e de prendre partie. Ce que l’on considère comme une position neutre est en réalité un positionnement du côté de la pensée dominante, explique la chercheuse.

Recherche ou politique ?

L’antispécisme est un débat public et la recherche permet d’apporter une compréhension plus précise et profonde. L’interdisciplinarité des animal studies permet de combiner énormément d’outils pour cerner au mieux l’étendu de la question. Pour la chercheuse interrogée, la recherche est là pour produire des connaissances qui pourront ensuite être réutilisées dans d’autres sphères, politiques ou militantes notamment.

Cependant, les chercheur·euses doivent garder leur position et ne pas intervenir directement en politique (en faisant du lobbying ou en intervenant auprès des pouvoirs publics par exemple). Pour Émilie Dardenne, “il faut savoir d’où l’on parle et ce que l’on souhaite faire”. En l’occurrence, selon cette dernière, le rôle des chercheur·euses même s’il n’est pas neutre, est circonscrit à la production de connaissances sur un sujet.

Bibliographie

Duran-Le-Peuch, Victor. 2022. « #15 Les universitaires peuvent-elles être antispécistes ? – Émilie Dardenne – Comme un poisson dans l’eau – Podcast ». Podtail. https://podtail.com/fr/podcast/comme-un-poisson-dans-l-eau/-15-les-universitaires-peuvent-elles-etre-antispec/ (5 mars 2024).

Pour compléter les définitions : 

• Jacquet, François. 2018. « Spécisme (A) – L’encylopédie philosophique ». L’encyclopédie philosophique. https://encyclo-philo.fr/specisme-a (5 mars 2024).
• Maillé, Chantal. 2022. « Intersectionnalité ». L’encyclopédie Canadienne. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/intersectionnalite (5 mars 2024).
• « Savoir situé – Mois du genre ». https://moisdugenre.univ-angers.fr/2022/02/24/savoir-situe/ (22 mars 2024).
• efigiesarpegetoulouse. 2016. « CR 1 – Savoirs situés et savoirs sur le corps : introduction ». EFiGiES. doi:10.58079/o4j5.

Crédit image : Reshot Free License

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