Le musée : un panseur de plaies mentales ?

L’art pour soigner fait date et fait partie de l’histoire de la psychiatrie. Depuis deux ou trois années, en France, des termes comme « art sur ordonnance » fleurissent dans des unités de soin. La même dénomination est utilisée au sein d’un partenariat entre le CHU et le regroupement d’établissements d’art MO.CO dans la ville de Montpellier. Cela représente un projet pilote en France, visible sur le site officiel du MO.CO. Il permettrait de faire sortir de l’hôpital des patients souffrant d’épisodes dépressifs. Mais il n’est pas unique.

Ayant à l’esprit le rapport de l’OMS de 2019 reconnaissant l’art comme ressource thérapeutique à effets biologiques, sociaux et psychologiques, je fais le lien avec l’art-thérapie (AT) qui consiste à utiliser l’art dans une démarche de soin. Vue comme une alternative thérapeutique, elle a du succès à la fois du côté des soignants et des patients volontaires, qui se décrivent comme dans « une bulle » propice à la création active lors d’ateliers (Laval, 2021). L’identité de patient est troquée par celle d’apprenti, accompagné par un artiste.  Faisant écho à la part de soignante en moi qui a toujours mis l’art à une place de choix, je me concentre sur ce qui serait une nouvelle démarche médicale, qui fait écho à celle de « sport sur ordonnance » (2017). [1] Avec la formulation « art sur ordonnance », s’agit-il du  type d’art employé ou le principe de prescription médicale qui fait peau neuve dans la nouvelle démarche médicale ? Aurait-elle une place spécifique en psychiatrie ? Quel est le passé de cette initiative actuelle pour en expliquer sa place contemporaine ?

La thérapie par le musée souligne-t-elle un rôle différencié du musée ?

L’art, et plus récemment le musée sur ordonnance permet aux patients qui veulent tendre vers un mieux-être mental, de se déplacer physiquement, de façon active, vers et dans le musée, et de le visiter gratuitement en s’éloignant de l’étiquette de patient. Au contraire de l’art-thérapie -utilisant le corps pour réaliser une production-, la musicothérapie ne demande pas une énergie pour forcément créer quelque chose. Dans le musée, le temps de présence est libre et permet de s’évader et/ou de parler de sujets existentiels.  La médiation artistique individuelle ou en groupe permet un accompagnement dans le dialogue avec les œuvres, le lien social, une inter-compréhension, l’échange avec les personnes [2,3].

Le terme adapté est la muséothérapie ( Delpierre, 2023). En 2020, à l’office québécois de langue française, elle se définit comme « méthode thérapeutique (…) exploitant l’environnement muséal et ses collections à des fins de bien-être, de mieux-être ou d’amélioration de l’état de santé des participants » (Nauleau, 2018). Un des grands objectifs se trouve dans la déstigmatisation de la souffrance mentale. Elle s’applique par la visibilité et la présence active des troubles dont sont atteint le public, ainsi que l’accueil ouvert à des troubles mentaux, des troubles impliquant une souffrance psychique ou plus largement des personnes recherchant un mieux-être mental.  La notion de bien-être appliquée à tous dans une démarche de grande attention, d’adaptation et de soin du public pointe la tendance émergente de la notion du care dans la pratique muséale (Stagnoli, 2021). Les besoins en santé mentale et le rôle social et d’accueil du musée se retrouvent dans l’esprit de ce terme.

La France : en retard dans le processus ?

L’art sur ordonnance fait écho à l’art thérapie et fait l’objet de médiations thérapeutiques comme artistiques. Le pionnier dans la démarche reste le Royaume-Uni. Il est incarné par le peintre Adrian Hill ayant initié la peinture dans le soin en 1944 avec des ateliers et la possibilité pour les patients d’accrocher des œuvres de leur choix dans leur chambre d’hôpital. Les États-Unis et le Canada ont suivi le mouvement. Les musées anglo-saxons et américains sont venus rapidement se joindre au processus d’art sur ordonnance, le musée vu comme un levier inclusif et de prévention pour la santé, soutenus par le gouvernement (Nauleau, 2018). La Belgique [4] puis la Suisse [5] vont prendre le tournant. « Le futur de la santé mentale, c’est par les arts », mots prononcés en 2021 par Stephen Legari, art-thérapeute au Musée des beaux-arts de Montréal, ce dernier considéré comme un véritable « musée-laboratoire » où les effets sur les patients sont encore à l’étude. [6] Ces pays sont aujourd’hui avancés dans la recherche en arts et santé et proposent un diplôme spécialisé d’art-thérapeute, ce qui n’est pas le cas en France où la définition est floue et freine la recherche.(Nauleau, 2018)

Là où l’art a rapidement été mis au service du soin, en France, le soin a valorisé l’art, incarné dans les patients-artistes internés qui ont fait impression [7]. L’art brut en est directement issu et fait l’objet d’exposition de productions des patients, à l’origine des « musées-hôpitaux » [8]. L’art en psychiatrie française tire ses sources de la volonté d’humaniser les asiles fin 20e siècle faisant écho à la psychothérapie institutionnelle (PI). [9] Le PI part du principe que l’institution hébergeant des patients est elle-même malade. C’est au travers d’une prise en charge thérapeutique s’appuyant sur la psychanalyse notamment et d’une réflexion teintée de marxisme autour des enjeux de pouvoir dans l’asile, que la PI va être pensée. Malgré l’influence des projets créés aux Etats-Unis comme le projet Moma* (Nauleau,2018) -pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer- les musées français n’ont pas accepté le rôle thérapeutique, ce qui a maintenu les frontières entre les disciplines art et soin. La convention « Culture et santé » datant de 2009 permet à la France de rattraper son retard en promouvant l’accessibilité et la démocratisation par le lien soin-musée et apportant des financements pour des appels à projet. Cela a fait effet : certains sont visibles à Paris, Lille, Lance, Montpellier et attendent des résultats.[10]

Mêler l’art à la santé : glissement vers la thématique « une nouvelle sciences »

Pour l’émergence d’une nouvelle science et même si l’approche est novatrice, de nombreux points restent à penser pour généraliser l’outil et la rendre réellement efficace selon moi.
Il reste à savoir si toutes les couches sociales seront volontaires pour rentrer dans ce dispositif. Comment joue la représentation élitiste de l’art ? L’aspect générationnel et la question de l’âge sont-ils pris en compte dans ce dispositif d’art sur ordonnance/muséothérapie pour qu’il soit pérenne et réellement adapté à tous ? Vers la Série-thérapie ? La Gaming-thérapie ?

Allons-nous vers moins de médication/médicalisation en laissant plus de place au lien social vers la guérison ? (Et non plus seulement un soin et une réhabilitation centrée sur la reprise d’une activité professionnelle)
Peut-on s’attendre à une valorisation de l’art-thérapie et de la recherche art-santé en France qui va encourager d’autres pays à leur tour ? De nouveaux métiers vont-ils émerger ?

Références

Laval, M. C. et S. (2021, septembre 27). L’art thérapie : Une bulle dans le quotidien des patients [Billet]. Mondes Sociaux. https://doi.org/10.58079/u9jt

Nauleau, M. (2018). Musée + Art-thérapie = Muséothérapie ? La Lettre de l’OCIM. Musées, Patrimoine et Culture scientifiques et techniques, 175, Article 175. https://doi.org/10.4000/ocim.1896

Stagnoli, M. (2021). Le Marec Joëlle et Maczek Ewa (Éds.). (2020). Musées et recherche : Le souci du public. Revue française des sciences de l’information et de la communication, 23, Article 23. https://doi.org/10.4000/rfsic.11693

Delpierre, M. (2023, janvier 25). Muséothérapie : « Je crois que nous sommes dans un moment de bouillonnement ». France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/museotherapie-je-crois-que-nous-sommes-dans-un-moment-de-bouillonnement-2414180

[1] Musées sur ordonnance. (2018, novembre 5). France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-carre/musees-sur-ordonnance-2679078

[2] La culture, l’art, peuvent-ils soigner ? (2015, juin 24). France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-angle/la-culture-l-art-peuvent-ils-soigner-5685826

[3] Musées sur ordonnance. (2018, novembre 5). France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-carre/musees-sur-ordonnance-2679078

[4] Twist—L’art sur ordonnance—Regarder l’émission complète | ARTE. (s. d.). Consulté 15 mars 2024, à l’adresse https://www.arte.tv/fr/videos/110332-001-A/twist/

[5] Visites au musée sur ordonnance. (s. d.). Hôpitaux universitaires de Genève. Consulté 15 mars 2024, à l’adresse https://panorama.hug.ch/2022/visites-au-musee-sur-ordonnance

[6] FRANCE 24 (Réalisateur). (2021, août 31). Art-thérapie : Quand les musées soignent • FRANCE 24. https://www.youtube.com/watch?v=14MDoBz64h0

[7] L’art des fous. (s. d.). Consulté 24 mars 2024, à l’adresse https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-art-des-fous-3881524

[8] Poser un nouveau regard sur le milieu psychiatrique grâce aux musées hospitaliers. (2022, septembre 21). France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaire-en-cours/poser-un-nouveau-regard-sur-le-milieu-psychiatrique-grace-aux-musees-hospitaliers-4082206

[9] Psychique et politique, la psychothérapie institutionnelle comme théorie politique. (2024, mars 9). France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-suite-dans-les-idees/psychique-et-politique-la-psychotherapie-institutionnelle-comme-theorie-politique-1388319

[10] À Lille, la prescription muséale. (s. d.). Le Quotidien du Médecin. Consulté 15 mars 2024, à l’adresse https://www.lequotidiendumedecin.fr/loisirs/lille-la-prescription-museale