De Nausicaä à Princesse Mononoké : Le cri d’alerte écologique de Miyazaki
Depuis de nombreuses années, Hayao Miyazaki ne cesse de faire rêver son public avec de nombreux films à succès tel que Mon voisin Totoro ou encore Le voyage de Chihiro. Mais au travers de son art, Miyazaki laisse transparaître une philosophie écologique pouvant faire écho aux changements climatiques actuels. Je vous invite donc dans cette lecture à venir découvrir cet aspect au travers des films Nausicaä de la Vallée du Vent et Princesse Mononoké.
Hayao Miyazaki est né en 1941 à Tokyo. Animateur, réalisateur, producteur, scénariste, écrivain et mangaka japonais, il est également un des fondateurs du très connu Studio Ghibli. Au travers de ses productions, Miyazaki nous invite à découvrir son art mais également, de manière plus large, son éthique et ses pensées philosophiques et politiques.
Dans la tête de Miyazaki
“J’en suis arrivé à un point où je ne peux pas faire un film sans aborder le problème de l’humanité en tant qu’élément d’un écosystème.”
—Hayao Miyazaki, interview d’Asia Pulse, 16 mai 1997
Un réalisateur profondément inquiet de l’état du monde et tiraillé entre la noirceur et la lumière de notre humanité, voilà la clé du succès de Hayao Miyazaki.
Originaire du Japon des années 40, Hayao Miyazaki grandit dans un pays dévasté par la guerre dont il garde notamment le souvenir de la fureur des bombardements et de leurs dégâts. Tout au long de sa vie, il a pu observer une modernisation et une urbanisation rapide du Japon, touchant également les campagnes. Ce chemin de vie lui apportera une frustration face à la folie humaine, une attitude anti-anthropocène (« l’ère de l’être humain ») mais également une attitude très conflictuelle à l’égard de la vie humaine. Au courant des années 60, il fait partie des jeunesses militantes remettant en question les choix de leurs aînés ayant entraîné la guerre, le tout en rêvant d’un autre monde, plus pacifiste et aux valeurs marxistes.
D’un côté influencé par son chemin de vie, Miyazaki est également marqué par son héritage culturel. Au pays du soleil levant, la religion traditionnelle est le shintoïsme. Dans cette religion la nature et l’humanité ne font qu’un et il n’est surtout pas question de séparer nature et culture. Le shintoïsme se base également sur l’animisme qui correspond à la croyance en des esprits (ou force vitale) animant les êtres vivants mais également les éléments naturels et les objets. Le monde est donc interconnecté et habité notamment par ceux qu’on appelle les “Kami”, des divinités qui “peuplent tous les lieux et habitent toutes choses”. Dans le monde vu par le shintoïsme, chaque action sur un être sera suivi d’un effet papillon qui entraînera une chaîne de conséquences sur les autres êtres, ainsi, une dépendance mutuelle entraînera une destruction mutuelle.
Vous l’aurez bien compris, Miyazaki n’est pas un environnementaliste comme le définirait la société occidentale mais bien une personne animée par une vision japonaise de la vie alliant nature et culture.
Et dans les films, ça donne quoi ?
L’art de Miyazaki est donc influencé à la fois par sa vie et par son héritage culturel et religieux. C’est ainsi qu’il sortira Nausicaä de la Vallée du Vent, sous forme de manga de 1982 à 1994, sous forme de film en 1984 et Princesse Mononoké en 1997, des fictions suivant sa pensée, vu comme environnementalistes mais amenant aussi une réflexion générale sur la vie et la nature humaine.
Le film Nausicaä de la Vallée du Vent nous présente un monde rétro-futuriste, anéanti par la pollution des industriels et où la princesse Nausicaä tente de recréer les liens entre la nature et les humains. Cette dernière est l’unique personne vivant en harmonie avec la nature, que ce soit au sein de la forêt toxique ou directement au côté des ômus, insectes géants protecteurs de la forêt. En cherchant à interpréter le comportement de la forêt, en regardant le monde avec un œil empathique et en étant ouverte à l’autre, Nausicaä détruit la barrière entre l’humain et la nature. La princesse représente donc l’individu cherchant l’équilibre entre tous les êtres (vivant ou non vivant), comme le voudrait la pensée shintoïste. Du côté de la réalisation du film, ce sont des petits détails qui nous invitent à nous questionner. En effet, en montrant Nausicaä s’excuser auprès d’un insecte qu’elle bouscule par mégarde, comme on aurait pu le faire instinctivement auprès d’un enfant, l’accent est mis sur notre appartenance à la nature et à l’égalité entre les êtres. Autre détail, la tapisserie présentée lors du générique de Nausicaä représente des cycles récurrents de développement technologique et des échecs ayant déjà eu lieu au cours de l’existence humaine. Ici, le spectateur est directement amené à réfléchir à ce schéma de développement, surtout à l’ère actuelle.
Dans le film Princesse Mononoké, nous faisons face à un monde emporté dans la fureur et la destruction, issu du désespoir et du chaos et où la nature s’oppose au monde et à sa technologie. Il s’agit d’un film pouvant être vu comme une fable contenant les convictions politiques, environnementales et les doutes les plus intimes de Miyazaki. Il est le film le plus explicitement écologique du réalisateur mais également un de ses plus sombre. L’utilisation de la pensée animiste et des Kamis, ruinant la séparation entre nature et culture, nous emmène directement dans la vision de Miyazaki. Mais pour ce film, pas de solution ou de fin heureuse, car comme le dit Miyazaki dans un reportage Arte : “je me demande comment on peut ignorer la problématique du chaos dans notre réalité et essayer de prétendre que tout ira bien dans le futur”.
Nous nous retrouvons donc dans ces deux films face à des personnages principaux préférant négocier avec l’environnement plutôt que de le dominer. Cette vision s’oppose directement avec l’ère actuelle (l’anthropocène), en présentant des recherches d’équilibre avec la nature et non une domination de l’être humain sur cette dernière. Les deux princesses reflètent les peurs contemporaines de l’être humain face à l’environnement et à la folie humaine. Les environnements dans lesquels elles évoluent sont inspirés de la réalité des catastrophes environnementales liés à l’humain telles que Hiroshima, Nagasaki ou encore l’accident de Minamata, un cas de catastrophe écologique lié à une pollution au mercure. Tous ces parallèles avec notre réalité permettent au spectateur de se questionner sur la place de l’être humain face à l’environnement.
Mais alors quelle est notre vraie place au sein de cet écosystème ?
Bibliographie
29ter. (s. d.). Miyazaki, un voyage par-delà nature et culture. Consulté 11 mars 2025, à l’adresse https://www.socialter.fr/article/miyazaki-un-voyage-par-dela-nature-et-culture
Favier, L. (Réalisateur). (2024). Miyazaki, l’esprit de la nature [Documentaire]. https://www.arte.tv/fr/videos/114615-000-A/miyazaki-l-esprit-de-la-nature/
France Culture (Réalisateur). (2023a, octobre 27). Nausicaä, la revanche de la nature (4/8) | Philosopher avec Miyazaki [Enregistrement vidéo]. https://www.youtube.com/watch?v=9yh-H4DP9Wk
France Culture (Réalisateur). (2023b, octobre 27). Princesse Mononoké, défendre la nature jusqu’au bout (3/8) | Philosopher avec Miyazaki [Enregistrement vidéo]. https://www.youtube.com/watch?v=WzlLraCkCik
Gossin, P. (2015). Animated Nature : Aesthetics, Ethics, and Empathy in Miyazaki Hayao’s Ecophilosophy. Mechademia: Second Arc, 10, 209‑234. https://doi.org/10.5749/mech.10.2015.0209
Gwendolyn Morgan. (2015). Creatures in Crisis : Apocalyptic Environmental Visions in Miyazaki’s Nausicaä of the Valley of the Wind and Princess Mononoke. Resilience: A Journal of the Environmental Humanities, 2(3), 172. https://doi.org/10.5250/resilience.2.3.0172
Minamata, la baie au mercure. (s. d.). Consulté 16 mars 2025, à l’adresse https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2005/03/28/minamata-la-baie-au-mercure_632289_3216.html
Voilà également un lien direct pour aller voir les bandes annonces des 2 films :
Nausicaä de la Vallée du Vent
Princesse Mononoké
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Manon Wasser (11 août 2025). De Nausicaä à Princesse Mononoké : Le cri d’alerte écologique de Miyazaki. Contrepoints. Consulté le 8 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14uxo

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