Velib’, un vélo réellement libre ?

A l’heure où la France est bousculée par des oppositions entre politiciens et citoyens, il n’est pas sans intérêt de questionner l’Histoire de l’émergence des compromis afin de comprendre comment s’établissent des accords à valeur sociale, politique et écologique. 

Grace à une approche pragmatique l’auteur Martin Tironi dans son article « Mettre l’écologie en mouvement. Les controverses aux origines du projet Vélib’ » a permis d’identifier  les intérêts intrinsèques de chaque parti afin de comprendre comment un accord avait pu avoir lieu suite à une décision de projet controversé. En cause ici, la mise en place à Paris d’un système VLS (vélo en libre-service), le Velib’ pour « vélo » et « liberté ». Ce projet qui s’inscrit dans une démarche de redynamisation de la ville est présenté comme étant une alternative écologique au mode de transport polluant de la capitale. Pourtant c’est le parti écologiste des Verts qui s’oppose à son implantation avant de se rétracter entrainant le lancement des installations le 15 juillet 2007. Que reprochent-ils au projet et pourquoi ont-ils décidé d’abandonner leur combat ? Comment un objet technique peut-il être pris dans des jeux d’intérêt politiques ? 

Le classique du politique : l’argument écologique

On emploie le terme de mobilité douce pour qualifier un moyen de transport qui utilise comme énergie uniquement la force humaine. Le concept prend naissance à Amsterdam dans les années 1960 par un groupe surnommé les « provos », une contraction d’« alternatives politiques » et d’« artistico-écologistes ». Il s’agit d’un mouvement d’étudiants mécontents du système en place qui décident de créer une distribution gratuite de vélos. Cependant le mouvement est rapidement mis à mal et interdit par la police pour incitation au vol. Néanmoins, le concept va être repris par les investisseurs privés et les multinationales entrainant l’essor du système VLS tel que nous le connaissons. Pour Paris l’investisseur est JCDecaux, premier créateur d’abribus publicitaire présent en grand nombre dans la capitale. A l’origine anticapitaliste, la distribution de vélos dans les grandes villes est devenu un élément de pouvoir. Dans le cas de Paris c’est directement la publicité qui finance les installations. De plus ce que reprochent les Verts à l’Etat c’est de ne pas suffisamment investir dans des institutions publiques. Les villes, par la multiplication de partenariat public-privé sont devenus des lieux où le capitalisme se déploie et s’exerce. La ville est gérée comme une entreprise. Cette « éco-critique » déjà énoncée lors des premières installations dans la ville de Lyon ne permettra néanmoins pas au projet de s’essouffler. Tironi donne une raison à cela, pour lui c’est le concept même d’écologie qui est redéfini à travers ce projet. Il reprend les termes de Bruno Latour et nous explique que les Verts envisagent une écologie de « purification », c’est-à-dire l’utilisation de moyens moralement légitimes à des fins écologiques là où les investisseurs adoptent la conception « biologiste » de l’écologie qui s’intéresse davantage aux conséquences pratiques qu’aux moyens employés. Faire de l’écologie oui, mais pas si cela ne permet pas d’alourdir le porte-monnaie des multinationales écolos.

L’abandon des manifestations

Dans cette controverse, la place de l’opinion publique va jouer un rôle important. Elle est même la cause principale de l’abandon des manifestations chez les Verts. Si stratégiquement, des partis de droite s’opposent au projet soutenu par le maire de gauche Bertrand Delanoë en reprochant à ce projet de n’être qu’une stratégie électorale avant les municipales de mars 2008, la position réfractaire du parti écologique est plus controversée. En effet, comme le déclarera Jaques Boutault, maire du 2^èmearrondissement en 2010 les répercussions politiques auraient été trop grandes pour un parti qui historiquement soutient le développement du vélo comme moyen de transport écologique. Avant l’installation des 20 000 vélos et des 18 000 stations les accueillant, seul 2% des trajets s‘effectuaient à vélo. Il faut l’admettre même si le projet est soutenu par le roi de la publicité il était urgent qu’un tel système voit le jour. Ainsi, au-delà d’avoir créé « la plus grande salle de sport de Paris » selon Decaux propriétaire de l’entreprise qui porte son nom, le Velib’ a permis de démocratiser l’usage du vélo en ville. Des rapports sociaux nouveaux ont ainsi vu le jour par la création de communautés de cyclistes. C’est ce que souligne le directeur d’exploitation de Cyclocity (filiale de JCDecaux) en juillet 2011 : « Avec le Vélib’ nous avons pu réellement démocratiser l’usage du vélo, car avant le vélo était toujours associé aux groupes Verts, un peu bobos, engagés politiquement […] le vélo n’était pas associé à toute la population, mais à un groupe de personnes un peu hippies et avec un certain pouvoir d’achat. Nous, en revanche, nous avons fait que tous les jours plus de cent mille personnes se déplacent en vélo. Et dans ce sens, nous sommes dans une certaine mesure les plus grands militants du vélo grâce à notre service. » (p.76)

Le travail de Martin Tironi nous éclaire sur les jeux d’intérêts autour de l’écologie. Avant la lecture de cet article je pensais que l ‘écologie était un combat qui reposait principalement sur des convictions morales et étiques. En fin de compte, comme tout autre champ il est un lieu de pouvoir et d’intérêt. Un projet à caractère écologique peut en fin de compte dissimuler des lobbyings ou bien des stratégies politiques. La crise des gilets jaunes ne prend-elle pas naissance suite au dernier projet écologique du gouvernement ? Les exemples se multiplient, redéfinissant par la même occasion les termes d’écologie et de ville durable. Et vous, toujours convaincus qu’écologie rime avec protection environnementale ? 

Bibliographie

Martín Tironi, « Mettre l’écologie en mouvement. Les controverses aux origines du projet Vélib’ », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 22 | 2012, mis en ligne le 21 mai 2014, consulté le 22 mars 2019. URL : http://journals.openedition.org/traces/5440 ; DOI : 10.4000/traces.5440