L’image sanitaire
Que ce soit dans un établissement médical, une infirmerie scolaire ou dans les locaux d’une association, les images sanitaires font tellement partie du décor que l’on pourrait les négliger.
Devenues indispensables dans les campagnes de sensibilisation sanitaire, cet outil visuel de communication permet d’augmenter la compréhension et l’accessibilité du grand public. Leur but est d’interpeller, d’intéresser, et enfin de marquer les esprits pour modifier les comportements et les attitudes. Pour travailler leur esthétisme, des agences de communication reprennent des codes de beauté artistiques et font des appels aux sentiments. Parfois, elles vont jusqu’à détourner l’art.
Une histoire particulière
Les campagnes de prévention, de vaccination, de dépistage étaient déjà présentes au siècle dernier pour lutter, par exemple, contre l’alcoolisme, la tuberculose, la syphilis, etc. Elles utilisaient déjà les codes et l’esthétique de leur époque pour faire passer leurs messages.
Une santé publique véritablement organisée apparaît seulement au XIXème siècle et est officialisée en 1902. Le concept d’hygiène devient public puis s’institutionnalise au XXème siècle. Face à des connaissances modernes et complexes, les médecins font des recommandations à la population (lavage de mains, vaccin) et des affiches sont présentées dans les écoles. Les institutions lancent des “propagandes sanitaires et sociales” : “timbres antituberculeux, peintures, caricatures « syphilitiques », affiches prophylactiques, films d’enseignement, cinéma médical. L’image encourage la médiatisation du fait médical.”
L’art de véhiculer
De nos jours, l’État poursuit ce rôle de médiation mais de nombreuses associations spécialisées prennent le relais. Pour opérer, elles doivent respecter les droits de propriété intellectuelle et ne pas imposer certaines pratiques mais expliquer, sensibiliser, responsabiliser et accompagner le grand public. Tout un domaine de design numérique, l’infographie, s’est développé grâce à l’informatique et permet de créer librement des supports variés : mangas, vidéos Youtube, dessins animés, logos, pin’s, etc. Les associations n’hésitent pas à s’en servir mais affiches, brochures et sites internet prédominent.
Cette médiation omniprésente fait passer des messages qui peuvent parler à l’imaginaire collectif et être concrets, abstraits, voire symboliques. La représentation graphique d’une idée permet de passer outre la langue sans pour autant être neutre : un symbole ou une couleur a une connotation culturelle et n’est pas interprété de la même façon selon son contexte et sa situation géographique et temporelle, comme dans le domaine artistique.
L’image ne fait pas le poids face à une médiation physique et directe (groupe de parole, d’entraide et intervenants) mais elle peut “happer” l’interlocuteur et l’inciter à s’informer davantage.
Une tactique payante ?
Dès les années 1950, des chercheurs s’intéressant à l’impact cognitif des images concluent que l’être humain retient mieux les visuels que les mots sachant que la qualité, l’originalité et la cohérence de l’ensemble sont également importantes.
L’image “véhicule des normes, suscite des émotions, forge ou conforte des représentations sociales”. Les projets artistiques des campagnes de sensibilisation se développent comme des reportages à l’aquarelle. Une campagne peut représenter la réalité, exagérer des traits, et également créer une nouvelle réalité, lorsqu’elle expose un comportement souhaité. Le but est de modifier les habitudes, les valeurs, les croyances, et la fiction d’une scène peut y contribuer. Une étude démontre que les messages présentant de façon hyperréaliste une menace (maladie, accident, etc.) sont les plus efficaces pour faire réagir le spectateur.
Certains dénoncent un surplus de diffusion d’images qui les “banalisent”. Elles sont parfois assimilées à de la publicité car elles en utilisent les codes, ce qui les invisibilise et crée un ”paradoxe de la prévention”.
Olivier Trendel, enseignant-chercheur, n’hésite pas à affirmer que les images permettent de modifier des opinions profondément ancrées. Plus le comportement est ancré (tabac, alcool) plus des images choquantes, négatives et répétitives sont nécessaires. L’image concrète serait donc plus efficace que des arguments.
Dans son mémoire, Marlène Pellissier étudie l’efficacité et la contre-productivité des campagnes “chocs”. Pour obtenir des dons, le public doit déjà être éduqué à la cause, avoir de l’intérêt pour elle et confiance en l’organisation. Les images peuvent aider à ancrer des idées dans la tête des gens et les inciter à agir, beaucoup plus qu’une communication informative “neutre”. La communication émotionnelle semble fonctionner mais le risque de heurter le public-cible subsiste. Les sentiments de pitié, culpabilité et peur sont souvent utilisés mais ne font pas le poids face au déni ou à l’évitement. Des conseils, des explications et un angle positif donnent plus envie. Il est donc primordial de connaître son public-cible.
Le marketing social propose une “communication engageante” pour obtenir le passage à l’acte souhaité. Un acte préparatoire peut aider à prendre la décision puis à la tenir. Il faut trouver un équilibre entre appels à la peur (images vivides, vocabulaire cru) et recommandations réalisables et efficaces.
Cas de AIDES :
Certaines associations, comme AIDES, ont une identité graphique spécifique. Le choix de son logo a été mûrement réfléchi pour représenter ses valeurs.
Ses centres d’accueil physique sont des lieux imagés : posters, affiches de campagnes préventives, brochures et préservatifs “imagés”. On a donc une continuité du discours, un gain de temps, voire un support lors des séances.
L’aspect artistique ou symbolique permet de parler de sujets tabous (sexualité, maladie) pour illustrer des idées osées, compliquées à visualiser, ou encore pour rendre une brochure vivante et attirante.
AIDES utilise plusieurs types de supports de campagnes : une BD numérique “Panique à sexopolis”, qui progresse en même temps que les dons reçus, des campagnes de prévention artistiques, des vidéos, des photos artistiques, et des outils de vulgarisation illustrée (maladie et outils comme la PrEP). Certaines ont déjà été censurées sans pouvoir invoquer leur aspect artistique, comme cette campagne sur le sida non autorisée par l’ARPP.
Conclusion
Finalement, l’image sanitaire serait une “passerelle entre les « sens sensoriels et les sens sémiotiques»” qui fait appel à l’affect, le lie à l’intellect et motive les individus. Les émotions augmentent l’attention, la compréhension et la mémorisation. Lorsqu’on observe une image, on la construit avec ce que l’on a déjà vu et ce que l’on ressent, sans voir l’objet en soi, mais avec un ensemble de sens et d’émotions, ce qui est semblable à l’approche artistique d’un tableau.
Références bibliographiques :
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En ligne: https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01202992/document.
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Crédits images :
Affiches symboliques contre la tuberculose de 1917 et 1918, Service Universitaire de Médecine Préventive et de Promotion de la Santé de Sorbonne Université, provenant de Santé étudiant, domaine public.
Affiche de vaccination contre la poliomyélite de 1964, Service Universitaire de Médecine Préventive et de Promotion de la Santé de Sorbonne Université, provenant de Santé étudiant, domaine public.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
sarahguillot (23 juin 2022). L’image sanitaire. Contrepoints. Consulté le 14 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/raeo
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