Le cinéma, art de la propagande ?

Le cinéma nous permet de découvrir des mondes merveilleux et de vivre des émotions intenses, mais il peut aussi être une arme redoutable. Bien installé.e.s dans notre siège et muni.e.s de nos sucreries préférées, devons nous rester méfiant.e.s quitte à moins profiter de notre séance ?

François Amy de la Bretèque, agrégé de lettres et maître de conférences en cinématographie à Montpellier, s’est intéressé à la question de la place de la propagande au cinéma dans son article “Cinéma de propagande et propagande dans le cinéma”. Il va plus particulièrement se pencher sur l’importance du discours et sur leur mise en scène dans différents films des années 1930, pour comprendre ce qui fait d’un film un “film de propagande”.

Deux visions du cinéma

Pour pouvoir traiter son sujet, l’auteur a choisi deux cadres méthodologiques d’analyse diamétralement opposés et les a mis à l’épreuve.  

Le premier cadre, développé par Shlomo Sand, soutient que « le cinéma s’inscrit dans la production par l’Etat nation de “souvenirs collectifs” ». Le cinéma a donc pour lui un important rôle à jouer dans les représentations de la société et tous les films sont, au moins en partie, « au service du pouvoir en place ».  Cela ne veut pas pour autant dire qu’ils sont tous des “films de propagande”. Le second cadre, imaginé par Jean-Michel Frodon, défend l’idée d’une “rédemption mécanique”. Pour lui, le cinéma est un instrument “démocratique par principe”, ce serait donc “contre sa nature” de montrer des images abjectes et immorales. Le cinéma de propagande n’est donc, dans sa conception des choses, pas du cinéma à proprement parler. 

Le fond et la forme au service de la propagande

L’auteur analyse un corpus de cinq films de nationalités et de styles différents, considérés comme étant “de propagande” et datant des années 1930 (Le triomphe de la volonté, La vie est à nous, Scipion l’Africain, Alexandre Nevski et La Marseillaise). Le choix de l’époque aurait pu être différent, mais celle-ci est plutôt bien connue de toutes et tous, et permet aux lecteur.rice.s de plus facilement s’approprier les exemples. L’analyse se penche plus particulièrement sur la place des discours dans ces films et je vous invite à la lire, mais je vais ici me me contenter de celle du film Le triomphe de la volonté (1934), qui me semble être la plus parlante.

Dans ce film, Leni Riefenstahl, cinéaste du parti national-socialiste d’Adolf Hitler, a usé de plusieurs artifices pour mettre en valeur la parole du dictateur. Elle a manipulé à la fois le fond, en sélectionnant des extraits percutants de différents discours, et la forme, en utilisant des mouvements de caméra dynamiques (animant ainsi artificiellement le discours), en jouant sur la puissance de la voix et en isolant visuellement le leader de la foule obéissante et calme. Il est ici évident que l’objectif du film est loin d’être simplement cinématographique, et c’est un bon exemple de ce que nous pouvons intuitivement entendre par “film de propagande”.  

Finalement, François Amy de la Bretèque conclut en expliquant que dans un “film de propagande” quelque soit son orientation politique, on trouvera toujours les mêmes éléments de base. Cependant, ils ne seront pas utilisés de la même façon et ils auront une valeur différente selon le message qui doit être véhiculé, le public visé et la personne réalisant le film.

Continuons de voir des films !

Il ne faut évidemment pas commencer à diaboliser le cinéma. Bien que notre époque connaisse encore son lot de conflits et de crises, et que le cinéma puisse évidemment être considéré comme une arme de désinformation efficace (on peut de nos jours penser à la Chine qui n’hésite pas à censurer des films allant à l’encontre de l’idéologie du parti communiste), nous avons les outils pour en repérer les potentielles dérives. Comme le dit François Amy de la Bretèque à la fin de son article, « la propagande est partout dans l’œuvre cinématographique, mais elle n’est pas tout ». Évidemment, toute œuvre est subjective et fait passer des messages, que ce soit de façon intentionnelle ou non. Gardons simplement dans un coin de notre tête que c’est le cas, et n’oublions pas de faire preuve d’esprit critique devant les films que nous voyons. Même si nous sommes parfois plus occupé.e.s à contenir nos larmes, à éclater de rire ou à manger nos popcorns. 

Référence bibliographique : 

François, Amy de la Bretèque, « Cinéma de propagande et propagande dans le cinéma », Images militantes, images de propagande, Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, 132-7, 2007, 161-170.

Pour aller plus loin : 

Pablo, Bergami G. Barbosa, « Le film de fiction comme instrument de propagande : le cas Tropa de elite. », Topique, 111, 2010, 103-128.

Dominique, Chateau, La subjectivité au cinéma, Rennes, Presse Universitaire de Rennes, « Spectaculaire | Cinéma », 2012.

Illustration : 

Salle de cinéma, Jan van de Rijt

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