Rencontre inattendue : l’art et les biotechnologies

Quand les artistes s’emparent de la science, on se retrouve avec un lapin vert fluorescent. Fascinant ou affolant ? A l’heure où les biotechnologies sont en plein essor, des artistes se les approprient pour les mettre au service de l’art. Ce couple hybride porte un nom : le Bio Art.

Vous avez dit “biotechnologies” ?

Présentes dans la vie quotidienne, les biotechnologies interviennent, par exemple, dans les processus de fermentation dans la production de vin. Il s’agit d’un ensemble de techniques utilisant des organismes vivants ou leurs composants (cellules, bactéries…), généralement modifiés au préalable, afin de transformer des matériaux vivants ou non, à des fins de recherche, de biens ou de services. Les biotechnologies connaissent un essor depuis le XXème siècle. Elles se sont notamment développées suite à des besoins que ce soit en médecine, en agroalimentaire, en pharmacologie…

Mais alors, quel est son lien avec l’art ?

Le bio art

Ce mouvement artistique naît dans les années 2000 par un artiste brésilien, Eduardo Kac qui lui donne ce terme de “ Bio art “.

“Le bio-art consiste donc à travailler à partir des ressources offertes par les biotechnologies : transgénèse, culture de tissus, homogreffes, synthèse de séquences ADN, décryptage du génome, neurophysiologie, afin de défricher de nouveaux terrains identitaires. L’exploration du patrimoine génétique par les bioartistes bouleverse dès lors l’intégrité de l’identité humaine et brouille les frontières entre naturel et artificiel, l’art transgénique ayant la possibilité d’utiliser le génie génétique en vue de créer des hybrides vivants uniques, nouvelles matières vivantes pour de nouvelles fonctionnalités du corps humain.” (Baron 2008, 42)¹

Une lapine verte sous la lumière des controverses

Un des symboles du bio art est la lapine Alba du projet d’Eduardo Kac, “GFP Bunny” dans les années 2000. Son ADN a été fusionné avec un autre fragment d’ADN (aussi appelé gène), permettant de lui faire produire une molécule fluorescente, la GFP (Green Fluorescent Protein). Ainsi, sous une lumière bleue, la lapine émet un rayonnement vert, la rendant fluorescente. La couleur verte permet ainsi de mettre en évidence la fonction biologique du gène dans le corps.

En dehors de la création transgénique, Kac voulait mettre en avant le processus intégré à la création de ce lapin. Le projet était en trois phases : la première étant la création de la lapine, la deuxième l’exposition de celle-ci au festival Avignonumérique, à Avignon et la dernière l’adoption de la lapine par l’artiste lui-même. Cependant, le projet recèle de nombreuses controverses d’un point de vue éthique mais également sociologique.

Eduardo Kac travaille avec l’aide d’un laboratoire français de l’Institut national de recherche agronomique (INRA). Cette collaboration reste néanmoins floue. D’un côté dans les articles publiés par l’artiste, celui-ci évoque la création de la lapine pour son projet et de l’autre côté un des chercheurs ayant participé à ce projet, Louis-Marie Houdebine dément sa création : l’artiste aurait juste choisi un lapin déjà présent dans le laboratoire et le scientifique n’aurait ainsi jamais créer de lapin pour Eduado Kac.

Concernant son exposition publique à Avignon, l’INRA s’y opposa et refusa également que la lapine sorte du laboratoire.

De plus, le décès de la lapine reste lui aussi trouble. Louis-Marie Houdebine dit qu’il a été informé qu’elle est morte sans raison à l’âge de 4 ans, ce qui est une durée de vie normale dans leurs installations. Edouado Kac estime qu’elle aurait en réalité 2 ans car elle a été créée suite à son projet. Il est à noter que l’âge moyen d’un lapin est d’environ 12 ans et que dans les laboratoires, les animaux sont pourtant très suivis et bien encadrés.

Un art du vivant éphémère

La modification génétique n’est pas le seul moyen de modifier un organisme. Un second exemple est celui de l’artiste portugaise Marta de Menezes. Son œuvre nature? consistent en des papillons dont une des ailes a été modifiée pendant leur phase de chenille à chrysalide, à l’aide d’aiguilles. Cette œuvre est réalisée en collaboration avec le biologiste, Paul Brakefield, spécialiste dans l’évolution des motifs des ailes des papillons. Les ailes sont naturelles mais résultent d’une intervention humaine. L’artiste veut proposer une œuvre unique et temporaire : ces motifs n’existent pas dans la nature et disparaîtront car ils ne sont pas transmissibles. Marta de Menezes montre que la nature peut être le support de l’art, qu’il est à la fois art et vie.

Bien que cette œuvre soit éphémère, elle n’échappe pas à des questionnements éthiques qui ne sont pas abordés. Ces réflexions ne sont pas seulement liées à cette œuvre, elles pourraient se poser pour toutes les créations touchant le vivant : quels sont les droits d’un animal servant à l’art ? Que se passerait-il s’il était relâché dans la nature ?

Conclusion

Dans le bio art, c’est la nature elle-même qui sert de support, de médium, à l’art.

Le fait que des artistes s’emparent de la biotechnologie pour en faire de l’art a suscité de nombreuses controverses. Des journalistes et des chercheurs avancent que l’art et les biotechnologies n’ont pas à se mêler. Des étudiants en art et des chercheurs se sont demandé si la matière vivante pouvait réellement servir au nom de l’art et si les scientifiques pouvaient s’impliquer dans ces projets artistiques sans se compromettre.

Le bio art joue avec les limites du vivant et de l’éthique. Alors que le chercheur “créer le vivant” avec une finalité pour un usage scientifique, l’artiste lui ne recherche pas ce même type de sens. Il va lui aussi manipuler le vivant afin de créer, par exemple, des hybrides, mais s’affranchit des dangers encourus, du cadre éthique et rigoureux de la science. Alors, est-ce que l’homme cherche toujours à jouer les dieux en manipulant le vivant avec des outils génétiques toujours de plus en plus développés ? Ou est-ce un moyen de questionner cet usage des biotechnologies à travers des œuvres qui nous perturbent ou qui nous fascinent ?

Références :

• Camille Prunet, 2015, “Liaisons entre art et science : les spécificités de l’art biotechnologique“, MIDAS, 5
• Stracey, Frances, 2009, “Bio-art: the ethics behind the aesthetics”, Nature Review Molecular Cell Biology, 10, pp. 496–500 https://doi.org/10.1038/nrm2699
• Teva Flaman, 2019, Le Bioart Enjeux esthétiques, Presse Universitaire de Provence

Crédit photo :

• Alba, a fluorescent green rabbit, par ConitaMuñozBianchi, 2011, licence CC BY SA 3.0, https://en.wikipedia.org/wiki/Alba_(rabbit)
• Bande dessinée par Camille MARFIL

1. Camille Prunet, 2015, Liaisons entre art et science : les spécificités de l’art biotechnologique, MIDAS, 5 [↩]