Le vandalisme d’art en réponse à la crise environnementale
La crise environnementale fait rage, vous tentez de mettre en garde, d’interpeller, en vain. Le monde fait la sourde oreille. Comment vous faire entendre ? Pour Just Stop Oil, comme pour d’autres groupes militants, la réponse réside dans l’attaque d’œuvres d’art.
Du 1 au 4 février 2023 se tenait le Forum Européen de Bioéthique, centré cette année sur les thèmes de la bioéthique et de l’environnement. Parmi les nombreuses tables rondes organisées, celle dont nous allons discuter s’est tenue le vendredi 03 et s’intitule “Quelle est la place de l’art et de la culture en période de crise écologique ?”. Les sujets abordés touchaient à l’importance de l’art dans notre vision de la nature et aux récentes attaques organisées par des groupes militants écologistes sur des œuvres d’art. Trois invités ont ainsi discuté de ces idées : Maurice Corcos, psychiatre spécialisé dans les enfants et adolescents, Guillaume Logé, chercheur en histoire et théorie des arts et conseiller artistique, et Eric Fiat, professeur de philosophie et d’éthique médicale.
Les actions perpétrées
Les Tournesols de Van Gogh recouvert de soupe à la tomate, Les Meules de Monet enduit de purée de pomme de terre, voilà quelques-unes des attaques ayant eu lieu au cours des derniers mois. En plus de recouvrir les œuvres de diverses substances, les militants se collent aux murs, voire aux tableaux eux-mêmes. Ces actions sont perpétuées par des groupes militants luttant contre l’inaction face à la crise climatique actuelle. Ils se nomment Just Stop Oil, ou encore Last Generation.
Si nous nous penchons sur l’identité des membres de ces groupes, il nous apparaît que la grande majorité des membres passant à l’acte sont des jeunes adultes. Pour Maurice Corcos, cela n’est pas anodin, et traduit une rupture générationnelle importante. On peut également penser aux questions d’éco-anxiété qui touchent particulièrement les jeunes générations.
Pourquoi s’en prendre à l’art ? L’art et la nature
Comme le précise Maud Nisand au début de la conférence, l’art sous toutes ses formes a toujours servi à l’être humain pour retranscrire entre autres la beauté de la nature. Les premières représentations artistiques datant de la préhistoire nous montrent déjà les paysages de l’époque. La peinture, la sculpture, la danse et toutes les autres formes d’art peuvent s’inspirer de la nature, que ce soit pour représenter sa beauté ou pour faire passer un message plus engagé. En ce sens, nature et art ont toujours été liés.
L’art nous permet de rendre compte et d’apprécier la beauté de la nature. Par la poésie, la peinture, la sculpture, prendre conscience de la beauté de l’art revient à prendre conscience de son importance. Eric Fiat reprend les dires de Jean Giono dans son texte De certains parfums lorsqu’il discute de l’importance du parfum et l’applique ici à l’art : “L’art n’est pas un luxe, ou alors c’est le plus indispensable des luxes. L’art nous permet d’affronter et souvent de vaincre les crises les plus terribles.” C’est à travers ce point de vue que les actions des activistes semblent prendre un autre sens.
Il semble évident, et cela se ressent dans la couverture médiatique de ces évènements, que s’attaquer à des monuments de l’art provoque des réactions intenses, fait parler. L’objectif de ces groupes étant de se faire entendre, de mettre en lumière la situation actuelle, le vandalisme semble produire les résultats escomptés. Notons qu’aucune œuvre n’a été détruite lors de ces actions militantes. À ce propos, Guillaume Logé souligne la façon dont les œuvres d’art aujourd’hui sont des objets enfermés dans des boîtes, derrière des vitres (qu’il qualifie de bunkers), totalement coupés de la société et considérés comme parmi les objets les plus précieux. Un contraste apparaît alors entre la façon dont sont traitées ces œuvres et la nature. Les militants à travers leurs actions, interrogent sur cet écart entre l’attention portée à l’art et le manque d’attention portée à la nature. “L’art a-t-il plus de valeur que la vie ?” peut on entendre dans le discours des militants Just Stop Oil. Nous pouvons alors nous interroger sur notre façon de percevoir l’art aujourd’hui, si différente des sociétés plus anciennes qui reposaient sur un rapport poétique à l’art et au monde. Et si, par leurs actions, ces jeunes activistes étaient en train de se réapproprier ce rapport poétique à l’art ?
Des cibles qui ne seraient pas choisies au hasard
Penchons nous maintenant sur les œuvres attaquées. Pour Maurice Corcos, il y a beaucoup à comprendre du choix des œuvres. On remarque en effet qu’elles peuvent toutes être reliées à la cause défendue. Ainsi, Les Tournesols, comme Les Meules, sont des représentations visant à mettre en valeur la nature. Il ne s’agit pas ici de la nature désolée par la crise écologique. Maurice Corcos s’attarde plus particulièrement sur La Jeune Fille à la Perle, œuvre de Vermeer représentant une jeune adolescente regardant le spectateur. Elle symbolise la jeunesse et la pureté, à travers sa figure mais également à travers sa perle. Un des militants s’est d’ailleurs collé à celle-ci. Pour reprendre le cinéaste Federico Fellini, “La perle est l’autobiographie de l’huître”. Il y a donc toute une imagerie de la mère, de la terre-mère associée à cette œuvre, qui fait écho aux revendications des groupes militants. Maurice Corcos précise aussi qu’il s’agit de conduites (et non de comportements) qui ont un sens, loin d’actions irréfléchies et sauvages. Le choix des œuvres ciblées ne semblent donc pas être le fruit du hasard, mais bien pensé et motivé.
Le message est-il passé ?
On peut alors se demander : le message est-il entendu ? La réaction des différentes figures politiques et représentantes des musées après ces attaques ne s’est pas faite attendre. Ces actions sont loin de faire l’unanimité, certains allant jusqu’à comparer les actions écologiques à des actions terroristes, comme celles des talibans détruisant les bouddhas de Bâmiyân. L’objectif de faire parler semble accompli, même si cela paraît moins sûr pour celui de la prise de conscience. Les militants n’ont pourtant pas l’air d’être dérangés par la façon négative dont les médias parlent de leurs actions, mais semblent satisfaits d’avoir mis en lumière leur cause.
Nous pourrions mettre en parallèle ce sujet avec un autre, plus large, qui est celui de la responsabilité civile, étudié ici : “Jeter de la soupe sur les Tournesols de van Gogh, écologie et désobéissance civile”.
Bibliographie
Corcos, M. Logé, G. Fiat, E. (03/2/2023). Quelle est la place de l’art et de la culture en période de crise écologique [Conférence]. Forum Européen de Bioéthique, Strasbourg. https://www.forumeuropeendebioethique.eu/emissions/quelle-est-la-place-de-lart-et-de-la-culture-en-periode-de-crise-ecologique
Crédit photographique : Exhibit Painting Display par Riccardo, licence CC0
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Emma Borges (13 juillet 2023). Le vandalisme d’art en réponse à la crise environnementale. Contrepoints. Consulté le 14 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/raga
1 réponse
[…] pourquoi s’attaquer à l’art, je vous laisse aller vers l’article de ma camarade Emma Borges “Le vandalisme d’art en réponse à la crise environnementale”. Malgré le fait que les œuvres n’aient pas été atteintes directement, car protégées par du […]