Jeter de la soupe sur les Tournesols de Van Gogh, écologie et désobéissance civile

Souvent dépeinte comme l’acte désespéré d’une poignée d’hystériques, la désobéissance civile peut parfois subir une image radicale et violente. Aujourd’hui, face à l’urgence climatique, est-elle une réponse justifiée à l’inaction du gouvernement ? [sciences et politique]

Désobéissance civile et pouvoir d’agir : quel type d’action pour répondre à l’urgence climatique ? Ce que j’ai retenu de l’entretien d’Éric Fourreau avec Sandra Laugier.

Sandra Laugier est professeure de philosophie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, elle est aussi directrice adjointe de l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne. Ses recherches se tournent vers la philosophie du langage, le féminisme et le care, la démocratie et la désobéissance civile, et l’éthique des séries télévisées.

La Désobéissance civile, c’est quoi ?

L’injustice appelle la révolte. Quand les moyens légaux ont été mis en œuvre, pétitions, plaidoyers, marches, mais qu’aucun n’a engagé d’action suffisante, désobéir devient un devoir. La désobéissance civile est un dernier recours qui engage un risque de prison, de violence, et qui est souvent mal vu par le reste de la population. La désobéissance civile, c’est aussi la suffragette Marie Richardson qui lutte pour le droit de vote des femmes en attaquant « La vénus au miroir » de Vélasquez à la hache, c’est Edward Snowden qui rend publique la violation de vie privée perpétuée par les gouvernements, c’est Rosa Parks qui refuse de laisser sa place dans un bus. 

Et pour l’urgence climatique ?

Aujourd’hui, aucune mesure suffisante n’est prise face à l’urgence climatique. On entend les politiques murmurer de temps à autre ce qu’on crie depuis plus de soixante ans, on voit des grandes entreprises continuer de dégrader l’environnement, ou cacher la misère à coup de greenwashing. Tout le monde sait, tout le monde acquiesce en silence, mais personne n’agit. 

Contre l’urgence climatique, on s’oppose à la surconsommation, aux lobbies, au capitalisme, à tout un système et une manière de vivre, et pas à une loi ou un groupe de loi comme cela a pu être le cas auparavant. Une cible si large peut parfois poser des problèmes de clarté ou de cohésion, mais la désobéissance civile est justifiée et nécessaire pour faire avancer la cause.

La désobéissance civile ne serait-elle pas contre-productive, vis-à-vis de l’opinion publique ? 

Reprenons l’exemple de la soupe, il fonctionne bien car il a provoqué de nombreuses réactions, il a choqué en s’attaquant à une valeur sacrée consensuelle : l’art (pour approfondir la question du pourquoi s’attaquer à l’art, je vous laisse aller vers l’article de ma camarade Emma Borges “Le vandalisme d’art en réponse à la crise environnementale”. Malgré le fait que les œuvres n’aient pas été atteintes directement, car protégées par du verre, ces actions sont spectaculaires et n’ont pas fait l’unanimité. Les opposants espéraient que cela desserve la cause, cependant selon Sandra Laugier cela n’a pas été le cas.

Et si elle était symptomatique d’un problème plus large ?

Finalement, la désobéissance civile s’impose dans un système bloqué, dans des démocraties pour plus de démocratie. Elle est une réponse face à un modèle de gouvernance imparfait. 

 La démocratie ne se limite plus à un sens institutionnel, et a pris depuis les années 2000 le sens d’une demande d’égalité de parole. Si l’on tient à son premier sens, le deuxième est nécessaire pour le faire vivre, lui donner un but. Ce sont les contradictions et les tensions qui émanent de cette dualité qui peuvent enclencher des conflits et de la désobéissance civile.

La vision de la démocratie comme forme de vie est par ailleurs une notion souvent reprise par Sandra Laugier, qui implique un modèle changeant, changeable, et constitué de milliards de petits éléments qui fonctionnent ensemble. 

La démocratie (institutionnelle) actuelle a ses limites, et témoigne d’un manque de démocratie (égalité de parole). Nous allons voter, une fois tous les quatre ans, pour un parti qui nous semble le « moins pire », le plus proche de nos idées ; cela ne veut pas dire une approbation à toutes ses futures actions. Il y a une forme de violation de consentement dans cette supposition, ce qui n’empêche pas certains d’agir comme si toute la population n’était faite que d’enfants mécontents qui changent d’avis trop vite. On y trouve une forme de paternalisme, alors que les personnes pour lesquelles on vote ne sont par ailleurs pas forcément mieux renseignées que certains citoyens. 

On a besoin d’une participation du peuple plus directe, plus efficace. S’il y a déjà eu quelques essais de démocratie participative par le gouvernement comme avec les conventions citoyennes pour le climat, le terme est trompeur car les questions et propositions sont en général déjà filtrées et choisies. Une meilleure démocratie serait d’origine citoyenne, avec une mise en œuvre qu’il serait possible de suivre.

Mais avant qu’on lui donne plus de pouvoir, la population est-elle suffisamment renseignée ?

Selon Sandra Laugier, quand on est impliqués directement, on agit plus. Cela paraît logique, et si aujourd’hui de nombreuses personnes ne s’intéressent pas aux sujets de société, c’est peut-être à cause d’un sentiment d’insignifiance et d’impuissance. Il faudrait tout de même mettre en place des systèmes d’éducation populaires, mais aussi donner confiance en soi aux citoyens, car chacun est apte à décider pour lui-même (individualisme nécessaire). Plus de démocratie irait donc de pair avec plus d’éducation.

Pour conclure

La désobéissance civile n’est pas un choix quand on parle d’urgence climatique, c’est une nécessité. Malgré l’opinion publique défavorable, malgré la menace de prison, elle apparaît malheureusement comme une suite logique au combat écologique. 

En allant plus loin, elle remet en question non pas seulement les choix du gouvernement mais le fonctionnement même de notre système. 

« Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, c’est en prison que l’homme juste est à sa place. »

Henry David Thoreau (La désobéissance civile, 1849)

Pour aller plus loin …

Pour approfondir la notion de désobéissance civile : 

• De manière historique :  La désobéissance civile , essai d’Henry David Thoreau de 1849.
• En relation avec l’écologie : « La désobéissance civile des scientifiques est justifiée sur les plans éthique et pragmatique », tribune du 27/09/2022 dans le journal Le Monde de Kévin Jean, Julia Steinberger et Jérôme Santolini.
• « FACE À LA CATASTROPHE ÉCOLOGIQUE, LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE EST INÉVITABLE » et « LA RÉSISTANCE CIVILE FACE À L’INACTION CLIMATIQUE », deux vidéos de la chaîne youtube de Blast.

Pour en savoir plus sur les travaux de Sandra Laugier : https://sandralaugier.wordpress.com/ 

Pour accéder à la rediffusion de la rencontre : https://www.cairn.info/rencontre-desobeissance-civile-et-pouvoir-dagir-quel-type-daction-pour-repondre-a-lurgence-climatique.htm

Mots clés : Désobéissance civile, écologie, Thoreau, entretien, rencontre, urgence climatique, politique, Sandra Laugier, résistance

Illustration : Allioux Suzanne (CC-by)

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