Science ouverte : quels objectifs ? #2

Billet précédent > Sciences ouvertes et digital labor : les pratiques de blogging chez les scientifiques #1 (introduction)

Que désigne-t-on par « science ouverte » ?

Le terme de « science ouverte » est indéniablement devenu un mot incontournable au sein de la communauté scientifique qui fait l’objet de nombreuses conférences, et qu’on retrouve jusque dans les hautes sphères des institutions européennes. On peut néanmoins affirmer sans prendre trop de risques qu’en dépit de sa grande popularité, il subsiste un certain flou autour du concept de « science ouverte », et la définition que l’on peut trouver dans les écrits de la Commission Européenne, à laquelle nous nous sommes référé, n’y échappe pas. Benedikt Fecher et Sascha Friesike remarquent ainsi que les discours qui accompagnent ce terme « semblent englober tout type de changements en lien avec le futur de la création et la dissémination de connaissances scientifiques » (Fecher et Friesike, 2014, p.17, traduction personnelle). Dans leur revue de la littérature sur le thème de l’Open Science, Fecher et Friesike proposent ainsi une classification des discours sur la science ouverte selon cinq grandes « écoles de pensée » (Ibid., p. 18) qui visent chacune un objectif principal. Ces cinq objectifs sont : optimiser l’efficacité des processus de création des connaissances scientifiques en permettant plus de collaboration entre chercheurs (Pragmatic School), permettre un accès gratuit aux connaissances pour tous (Democratic School), créer des outils, plateformes et services qui soient librement accessibles par les chercheurs (Infrastructure School), rendre la science accessible aux citoyens en leur permettant de participer à la production de savoirs scientifiques et en facilitant la compréhension de ces savoirs (Public School), et enfin développer des systèmes de mesure de l’impact scientifique alternatifs et mieux adaptés aux nouveaux modes de circulation des connaissances à l’aire du numérique (Measurement School) (Ibid., p.19). Ces différents objectifs ne s’excluent pas mutuellement et il ne s’agit pas là d’une classification stricte qui ne vise pas non plus à décrire la totalité des utilisations possibles du terme « Open Science ». Néanmoins, cette classification permet d’observer qu’au-delà de la grande diversité d’approches et d’outils utilisés pour « ouvrir » les sciences, le concept de « science ouverte » est utilisé pour défendre des idées différentes. Le concept de « science ouverte » semble ainsi être en quelque sorte un concept à géométrie variable : une personne pourra l’utiliser pour promouvoir le développement d’infrastructures communes et librement accessibles par les scientifiques sans pour autant promouvoir également le développement de la science participative par exemple, la situation inverse pouvant également être possible. Il n’existe donc pas une définition unique et sans équivoque du concept de « science ouverte ».

Accessibilité de la science

Le concept de « science ouverte » est un concept large qui regroupe une grande variété d’idées. Néanmoins, parmi ces idées, il y en a quand même une qui semble être dominante et revenir le plus souvent quand on évoque la science ouverte : celle de l’accès ouvert à l’information scientifique issue de la recherche (Open Access). D’après Bernard Rentier, l’Open Access est, historiquement, à l’origine du mouvement plus large de l’Open Science (Rentier, op cit.). Le concept d’accès ouvert est en effet apparu assez tôt avec le développement de l’Internet, dès les années 1990, avec la création en 1991 par Paul Ginspar de la plateforme arXiv qui permet de déposer en libre accès des pré-publications et qui a connu un succès important principalement chez les informaticiens, mathématiciens et physiciens. Dans son livre Open Access, qui est devenu une référence sur le sujet, Peter Suber définit la littérature Open Access comme « digitale, en ligne, libre de charges, et libre de la plupart des restrictions liées au copyright ou à diverses licences » (Suber, 2012, p. 15). Marin Dacos, préconise lui de bien faire la distinction entre accès ouvert, qui lève les barrières liées au prix mais ne dit rien des contraintes en ce qui concerne l’utilisation et la distribution, et accès libre qui lui lève également les barrières liées à l’utilisation (Dacos, 2012) (à l’exception généralement, dans le cas des articles de recherche scientifique, de l’interdiction de modification qui reste une barrière indispensable). L’Open Access repose notamment sur l’idée que le savoir scientifique devrait être considéré comme un bien public (non compétitif et non-exclusif) (Rentier, op cit.), idée qui se justifie en partie par le fait que la recherche scientifique est majoritairement financée par des fonds publics (bien que ce ne soit pas toujours le cas). Que l’on parle d’accès ouvert ou d’accès libre, l’objectif est donc de rendre les savoirs scientifiques plus accessibles. Peter Suber souligne d’ailleurs que pour obtenir une science réellement plus accessible pour tous (accès universel), il faudrait prendre en compte plus de barrières à l’accès que ne le fait habituellement le mouvement de l’Open Access, telles que les barrières liées aux handicaps, à la langue, à la censure, à la connectivité (Suber, 2003). On conçoit là l’importance que le mouvement de l’accès ouvert a eu dans l’émergence de préoccupations plus larges portées par la science ouverte. On voit alors poindre, au-delà du simple fait de rendre les articles scientifiques accessibles librement par les chercheurs et de chercher à contrer un système de publication et édition à bout de souffle et avec de nombreux défauts, la possibilité d’un élargissement du lectorat. L’idée de l’accessibilité de la science dépasse alors le seul format très formel et codifié des articles scientifiques destinés à être publiés dans des revues spécialisées. Ingrid Mayeur remarque que « la publicisation de la communication scientifique sur le Web amène certains chercheurs à tenir compte, dans leurs écrits, des nouveaux lecteurs potentiels » (Mayeur, 2017). Ces considérations sur l’accessibilité des savoirs scientifiques contribuent à légitimer la diversification des pratiques d’écriture, de production et de diffusion de contenu des scientifiques. Ingrid Mayeur remarque encore que « avec l’élargissement du lectorat qu’amène le contexte de la science ouverte, il est désormais envisageable de faire participer les publics non universitaires au processus de la recherche » (Ibid.). L’une des pratiques qui contribue à la fois à la transformation de la manière de produire du contenu scientifique et à la participation d’un public plus large est celle du blogging scientifique.

Billet suivant > Blogging scientifique et sciences ouvertes #3

Bibliographie > voir billet introductif

Photographie : trying to make orbs by Patrick Brosset, licence CC-BY-NC

---

---