Les femmes scientifiques dans la pop-culture : cas de la série The Big Bang Theory

Avec son humour décalé et ses personnages atypiques, The Big Bang Theory est l’une des sériés télévisées les plus marquantes de ces dernières années. En suivant les aventures d’une bande d’amis dans le milieu universitaire et de la recherche, elle a mis en lumière un champ peu connu du grand public et donné la place à des personnages féminins. Mais la représentation de ces femmes scientifiques dans la série permet-elle de briser les stéréotypes ?

The Big Bang Theory est une sitcom des producteurs Chuck Lorre et Bill Prady diffusé sur CBS de 2007 à 2019. Comme tant d’œuvres cinématographiques, elle est un moyen de dépeindre avec légèreté des sujets de société. La série présente la vie fictive de deux paires de personnages loufoques : les docteurs Sheldon Cooper et le martyr qui lui sert de colocataire : Léonard Hofstadter ; puis Rajesh Kootrappali l’astrophysicien sensible et qui entretient une amitié plus qu’ambiguë avec l’ingénieur (comme aime le rappeler Sheldon) et fils à maman Howard Wolowitz. Même s’il y a matière à dire, comme vous le constatez, sur cette série, ce qui nous intéresse ici c’est l’évolution de leur compagnes scientifiques toutes aussi singulières : Amy Farrah Fowler, la neuroscientifique compagne de Sheldon Cooper, Bernadette Rostenkowski, la microbiologiste compagne de Howard, et Lesly Winkle, une physicienne théoricienne qui a partagé un moment la vie de Leonard. La série souligne l’influence de leur vie personnelle sur leur carrière de scientifique.

Amy ou la scientifique qui s’efface derrière son conjoint

Contrairement à ce que son style de vie pittoresque et ses vêtements venus d’une autre époque laisseraient penser, le cursus de Amy est des plus exemplaire et commun à d’autres scientifiques. Elle a une enfance classique, mène de brillantes études, obtient un doctorat à Harward, puis un poste de chercheuse et poursuit une carrière irréprochable et sans encombre. Par la suite, elle épouse son compagnon, Sheldon Cooper, lui aussi chercheur dans la même université. C’est ce tableau que l’on observe à première vue. Mais à y regarder de plus près, l’on constate que sa carrière se métamorphose au fils de sa relation de couple avec Sheldon. 

Au début, nous avons une femme qui mène sa vie de couple d’une part et de l’autre sa carrière de chercheuse. Ce parallèle permet de dégager deux profils différents mais complémentaires au début de sa relation : la scientifique avec son laboratoire et ses projets de recherche puis une femme dans sa vie de couple avec son conjoint. Mais cette distinction s’amenuise subtilement proportionnellement au degré de l’implication de son conjoint dans sa carrière, jusqu’à disparaitre. Cette confusion atteint son paroxysme lorsqu’ils entreprennent de mener des recherches communes sur une sujet de physique théorique de son époux. Nous remarquons qu’en plus d’abandonner et de perdre la main sur ses sujets de recherches, elle se place dans l’ombre de son mari. Et à la suite d’une découverte qui leur offre le prix Nobel de physique, elle tend à minimiser son apport au profit médiatique de son conjoint. Et bien qu’elle eût conscience de ce parti pris, elle n’adoptait pas cette attitude de gaité de cœur, il s’agissait plutôt du meilleur compromis pour elle-même afin d’assurer la pérennité de son couple et la poursuite de sa carrière. Nous n’irons pas jusqu’à faire un parallèle avec les nombreuses femmes scientifiques qui se sont fait « voler leur découvertes » avec l’effet Mathilda, ce que nous souhaitons souligner ici c’est le fait que l’histoire de Amy illustre parfaitement le singulier commun de nombreuses femmes scientifiques qui travaillent avec leur conjoint. Et c’est cette « posture de retrait » que Lesly Winkle, à l’instar d’autres femmes, n’a pas voulu adopter.

Lesly Winkle, une carricature de la femme scientifique

Cette physicienne théoricienne se place assez vite dans la série comme une collègue « concurrente » de Sheldon Cooper. D’un style vestimentaire « masculin » et d’apparence négligée, ce personnage ne manque pas de répondant. Elle ne correspond pas aux stéréotypes de féminité avec son caractère affirmé et ses positions bien tranchées. Ce personnage nous semble être le produit du male gaze, c’est-à-dire la matérialisation du fantasme d’une femme rigide, masculine et quasi-insociable. Sa vie de couple ou les perspectives de vie familiale semblent vouées à l’échec dans une société patriarcale. Ainsi, la brièveté de sa relation avec Léonard et le motif de leur rupture met en lumière une femme qui ne négocie pas avec ses convictions et se refuse aux compromis en ce qui concerne sa carrière. Ainsi, elle renonce à la recherche du fragile équilibre que Bernadette de son côté essaie de maintenir au quotidien.

Bernadette Rostenkowski ou la quête d’équilibre 

Bernadette est une jeune microbiologiste employée dans l’industrie pharmaceutique. Elle y occupe un poste à responsabilité avec un salaire plus que confortable qui va avec son statut. Une autre manière de décrire la Dr Rostenkowski serait de la présenter comme l’épouse de Howard Wolowitz et la mère de Halye et Michel, deux enfants en bas âge.  Ce que l’on trouve intéressant à souligner c’est sa lutte pour mener à bien les deux aspects de sa vie : d’une part réussir à limiter l’impact de sa vie familiale sur sa carrière dans un milieu peu empathique, voir hostile, où les baisses de performances ou les absences remettent ses acquis en question. Et d’autre part, être présente pour ses enfants et son mari. En somme, être l’épouse, la mère et la ménagère modèle. Ce cas est l’illustration parfaite de l’argumentation de la Professeure Rouamba : « les femmes dans le milieu universitaire, les enseignantes, les chercheuses, les doctorantes, les étudiantes, tant qu’elles sont mère, portent la charge du besoin d’un double accomplissement : elles doivent réussir en tant que mère et dans leur carrière et ce, pour elle-même, pour leurs enfants, pour les autres femmes et pour la société ». 

Malgré la diversité des profils de femmes scientifiques dans The Big Bang Theory, elles entretiennent un point commun : celui d’être le produit d’une socialisation particulière. Le défi qui se pose est d’investir au mieux leur carrière exigeante tout en réalisant leurs aspirations. 

https://youtu.be/ikOVkMrRvsM

Ressources

• Émission de radio : Pierre Roppert, “l’effet Mathilda, ou les découvertes oubliées des femmes”, émission du 14 août 2018 sur France Culture : https://www.radiofrance.fr/franceculture/l-effet-matilda-ou-les-decouvertes-oubliees-des-femmes-scientifiques-8985965
• Conférence : Valérie Roumba, « Être femme dans le milieu de l’enseignement supérieur et de la recherche : réalités, défis et perspectives », le mardi 07 mars 2023 à Ouagadougou, organisée par les écoles doctorales de l’Université Joseph Ki-Zerbo, dans le cadre de la commémoration de la journée internationale de la femme.

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