Les métamorphoses d’un monde-papillon

Aujourd’hui, je n’ai pas reconnu un papillon. Métamorphose d’un être ou du monde ? Voyons ce qui se dessine derrière la métamorphose d’un monde-papillon.

Cette réflexion s’inscrit dans la continuité du travail de Donna Haraway sur la notion de fabulation spéculative. Je l’ai écrite en étant fortement influencé par ma lecture précédente d’un article de Baptiste Morizot qui se retrouve dans mon billet de blog « Les métamorphoses du monde » à lire idéalement avant. Ce billet constitue le premier chapitre (ou du moins une partie) de ma première fabulation spéculative écrite.

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Aujourd’hui, je n’ai pas reconnu un papillon. J’avais l’habitude d’aller au fond du jardin pour aller voir les chrysalides à l’ombre des saules, et comme à leur habitude, elles étaient d’un vert-gris qui fleurissait tout mon cœur. J’avais aussi bien regardé verdir les chenilles au printemps, dont l’extrémité postérieure du corps est si caractéristiquement bifide. Et pourtant, malgré une rigoureuse identification et un début de métamorphose normal, le papillon qui guidait mes yeux ne ressemblait en rien à un Grand Mars changeant, Apatura iris pour les intimes. Et pour cause, je ne voyais aucunement ce bleu « changeant » au fil des danses qu’il voulait mener, et qui faisait écho au bleu du ciel lorsqu’il montait dans les houppiers. Juin avait été particulièrement chaud cet été. Une chaleur ayant le goût d’un changement climatique me direz-vous. Le frémissement des feuilles leva l’ombre et dévoila enfin sa couleur. Il était d’un rouge éclatant et vif comme je n’en avais jamais vu, un rouge qui faisait plutôt référence à l’autre partie de son nom : « Mars », la planète rouge. Ma tante semblait inquiète, son souffle n’émettait aucun bruit, du moins aucun compréhensible. En effet, les générations précédentes de Grand Mars changeant nous avait permis de composer un tissage où l’on pouvait entendre le bruit du battement des ailes, ce qu’on appelait « le souffle ». Ça n’était pas un langage à proprement dit, c’était plutôt la capacité à être réceptif aux réactions de chaque individu par le bruit qu’émettent leurs ailes. Autrement dit, ces papillons étaient « réactiles » et nous étions les seuls à avoir l’attention, l’affection nécessaire pour l’apercevoir, sans savoir en retour si eux nous percevaient de la même façon. En tout cas, ils ne fuyaient pas à notre approche et vivaient déjà dans le jardin depuis les écrits de mes arrière-grands-parents arrivant sur le lieu pour les préserver. Ce souffle dépendait de l’effort qu’on mettait à développer l’un de nos cinq sens, l’ouïe. Pour les plus aguerris, le simple mouvement des ailes pouvait mener à ce lien intime, un peu comme lire sur les lèvres, c’est ce qu’on appelle le jizz¹ . Outre la respons-ability², c’est l’effervescence des choses qu’il faut savoir ressentir. Le souffle des papillons varie dans les sens aussi par rapport à là où ils se trouvent. Les comprendre n’est pas possible d’une part, si on extrait leurs réactions du milieu dans lequel ils vivent avec d’autres êtres. D’autre part, si ce milieu finit par être trop anthropisé. Je comprenais donc l’envergure du problème, la seule explication était donc que le milieu dans lequel mes ancêtres ont vécu, ont tenté de le préserver des affects anthropiques et des troubles ontologiques ambiants avait à son tour dépassé son seuil de résistance. Sous les conseils de ma tante, je me faufilais entre les énormes branches et racines de lierre qui habitaient la maison, elles me guidaient de la baie vitrée en passant par la cuisine pour aller jusqu’à l’escalier du grenier. Les racines étaient assez solides pour remplacer les marches qui manquaient et me sauveront sûrement lorsque les suivantes, en vieux bois mort, céderaient. Ce bois dévitalisé relevait pour moi d’une des dernières traces des ontologies naturalistes de la maison avant que mes ancêtres habitent l’espace. Comment avaient-ils pu choisir des planches en bois mort plutôt que de s’allier à des racines vivantes, tenaces et solides, en guise d’escalier ? Me répétais-je en descendant. Devant les cartons qui jonchaient le sol, je sortis celui du premier habitant de la maison depuis l’abandon du lieu par les modernes. Celui de mon arrière-grand-père. À l’intérieur, j’ai trouvé le carnet indiqué par ma tante : « Récits mythopo(ï)étiques des Grands Mars changeants – Nicolas Vincent », c’était le seul au milieu d’innombrables insectes morts que je ne reconnaissais tout autant pas que les fleurs séchées qui y étaient. Je le pris délicatement en soufflant dessus. J’ouvris la première page :

Bibliographie

Morizot, B. (2019). Ce mal du pays sans exil. Les affects du mauvais temps qui vient. Critique, 860-861, 166-181. https://doi.org/10.3917/criti.860.0166

Donna J. Haraway, (2020). Vivre avec le trouble, (García, V., Trad.). Les éditions des mondes à faire.

Iconographie

Suzanne Allioux – Papillon. Juin 2023.

1. Le jizz est un mode de reconnaissance intuitif, il se base sur différentes impressions lorsque le papillon est vu au premier regard. Cela peut être la teinte générale, l’allure du vol, les contrastes etc. Ce terme est plus communément utilisé par les ornithologues. [↩]
2. Ici je fais référence au concept introduit par Donna Haraway qui désigne la capacité où l’habilité à répondre à l’insistance des possibles, c’est à dire de notre cas, aux alliances inévitables que demandent les êtres. [↩]

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