Douter
Pour ce billet, j’ai eu envie de me challenger en écrivant en suivant le cours de ma pensée sur un sujet auquel j’ai récemment réfléchi, le doute. Le texte que vous allez lire aura été écrit d’une traite et sera une modeste réflexion personnelle sur le sujet. Je n’ai, au moment où j’écris ces lignes, qu’une vague idée d’où les mots vont me mener ; mais je vous invite à prendre, qu’elle soit calme ou agitée, la mer avec moi.
Douter c’est trembler, hésiter, s’arrêter. Nous y sommes toutes et tous confronté.e.s. Parfois il nous bloque, parfois au contraire il nous permet d’aller de l’avant. Personnellement, on m’a souvent reproché de douter, alors que ce n’était apparemment ni le lieu ni le moment. Encore aujourd’hui, j’ai le souvenir vivace de l’enfant que j’étais, devant le marchand de glace qui ne sait pas s’il doit prendre un parfum qu’il connaît ou tenter l’expérience d’un autre, plus intriguant mais inconnu. J’ai des souvenirs de quand, à la bibliothèque, je passais en revue toutes les quatrième de couverture d’un rayon avant de finalement repartir bredouille, ayant été incapable de faire un choix. Avec les années, j’ai l’impression d’avoir appris à me décider plus efficacement, même si certain.e.s de mes ami.e.s vous diront que c’est faux. C’est en repensant à ces souvenirs, et à d’autres, que j’ai commencé à m’interroger sur mon rapport au doute, à son rôle dans ma vie et à sa place dans la société. Je le vois maintenant comme un outil, un moyen de prendre de meilleures décisions. Si je ne doute pas, que je suis sûr de moi, c’est en général que je suis sur la bonne voie et l’absence de doute me conforte dans mon idée. Au contraire, quand une décision à prendre fait naître en moi un doute, je m’arrête. Pourquoi est-ce que je ne suis pas convaincu de mon choix ? Pourquoi est-ce que je ressens cette gêne au plus profond de moi, cette sensation d’hésitation désagréable ? Dans le cadre de mes études par exemple, j’ai beaucoup hésité, car nombre de sujets m’intéressent. Cela s’est avéré particulièrement important lorsqu’il a fallu faire un choix de master. Au moment de candidater dans celui qui était la suite logique de mes études, j’ai douté. J’ai donc pris quelques jours pour y réfléchir, me poser, m’arrêter, pour me demander ce que je voulais vraiment faire. Finalement, je pense avoir trouvé une voie qui me plait et m’excite beaucoup plus que celle à laquelle je me destinais.
Douter c’est questionner, critiquer, évaluer. J’ai la désagréable impression que c’est quelque chose qui manque de plus en plus à notre société moderne. Nous le voyons quotidiennement dans les médias, sur les réseaux sociaux ou dans nos discussions, beaucoup de personnes ne doutent plus, ou plutôt oublient qu’elles doutent. Pendant ce temps, les quelques voix qui s’élèvent pour tenter de nuancer ou de réévaluer des propos dont la masse s’est déjà saisi, se noient dans le flot d’informations et sont oubliées. J’ai l’impression que montrer que nous doutons, c’est faire preuve de faiblesse. Si demain un responsable politique nous disait “je doute” serions nous admiratif.ve.s de sa franchise ou choqué.e.s de son incapacité à être sûr de lui ? Cette disparition du doute est particulièrement visible en ligne. Maintenant que tout le monde peut écrire sur n’importe quel sujet et avoir pour audience potentielle le monde entier, il devient de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux. De nombreuses personnes affirment souvent des “faits” sans prendre de pincettes. Certaines le font en toute bonne foi et veulent simplement partager quelque chose, d’autres malheureusement le font à des fins plus ou moins malhonnêtes. Que ce soit pour vendre un livre, pour faire la promotion d’une quelconque entreprise ou simplement pour attirer l’attention, les raisons peuvent être multiples. Cependant, le résultat reste le même, la masse qui a perdu le réflexe du doute, à force d’être sur-sollicitée au quotidien par un flot d’information intarissable, ne prend pas le temps de vérifier tout ce qu’elle lit. Moi-même, qui pense faire preuve d’esprit critique, je me suis déjà surpris à partager à des ami.e.s des articles dont je n’avais lu qu’un extrait, sans avoir creuser le sujet. Nous sommes avides d’informations et nous aimons les partager, mais nous ne prenons plus le temps de les critiquer et de les questionner. Cette tendance à croire, à partager le sensationnel quitte à mettre de côté notre esprit critique, mériterait sans doute un billet à part entière, mais un dernier aspect du doute que j’aimerais aborder me traverse l’esprit.
Douter, c’est échouer, recommencer, réussir. Le doute est la clef de voûte des sciences, sans lui, elles ne seraient pas ce qu’elles sont et notre monde serait sans doute drastiquement différent. Les chercheurs et chercheuses doutent au quotidien. Quand une hypothèse est formulée, qu’une expérience est faite, qu’un résultat est analysé, le doute est toujours là. Parfois vous rencontrez des échecs, le doute peut alors s’emparer de vous. Qu’est-ce que j’ai mal fait ? Est-ce que j’aurais pu faire les choses autrement ? Il peut alors servir de moteur, vous donner l’envie de mieux faire, de prendre du recul pour recommencer et aller plus loin. En science, le doute fait loi. En dehors des mathématiques, toutes les vérités des sciences sont en suspens. Même si elles font consensus, un doute subsiste. Il permet aux sciences de ne pas stagner, toute théorie devant être constamment remise en question, soumise aux nouvelles observations susceptibles de l’invalider. Enfin lorsqu’elle parvient à surmonter l’épreuve du doute, elle n’en est que renforcée.
Avant de vous ramener au port et de vous quitter, j’aimerais vous laisser avec une question, une expérience de pensée (qui pourrait sans doute être le point de départ d’une dystopie rocambolesque) : si le doute n’avait jamais existé, à quoi ressemblerait notre monde ?
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Illustration : life1, Don Orrell
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Benoît Eppinger (10 juillet 2023). Douter. Contrepoints. Consulté le 12 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/rag8
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